Soumaila Traoré, lourdement handicapé à la suite d’un accident de train survenu dans son enfance, étudie eT travaille depuis deux ans en France. Contractuel à la ville de Suresnes, il fourmille de projets et se bat depuis l’adolescence pour améliorer la vie des personnes handicapées dans son pays, le Burkina Faso, à Suresnes et dans le monde.
Sa vie aurait pu s’arrêter à l’aube de l’enfance quand un train a percuté Soumaila Traoré. Il n’avait que deux ans. Depuis, il multiplie les prouesses et conjugue sagesse adulte et âme d’enfant. Tout semble sortir de l’ordinaire dans la vie de l’homme aux vestes bariolées élégamment assumées : son parcours comme ses engagements.
L’ACCIDENT
Aujourd’hui contractuel à la ville de Suresnes et étudiant en licence de droit international et droit administratif des biens à Cergy, Soumaila voit le jour en 1979 dans un des pays les plus pauvres d’Afrique, le Burkina Faso. À deux ans sa vie bascule : « On n’a jamais su comment je m’étais retrouvé seul au milieu des rails d’une ligne de chemin de fer », glisse-t-il en préambule. La suite est terrible : un train lancé à pleine vitesse ne parvient pas à l’éviter et lui sectionne les quatre membres. Ironie de l’histoire tragique : son père est cheminot. Il passe des mois à l’hôpital et en sort lourdement handicapé et cloué dans un fauteuil. La réaction de son père à l’époque est quasi prophétique : « S’il n’est pas mort dans l’accident, c’est qu’il doit vivre. » Et effectivement il va vivre, pleinement.
UNE ENFANCE AU BURKINA
Aîné d’une famille de cinq enfants, ses parents n’ont pas les moyens de financer des études à tous. Ils se
concentrent donc sur Soumaila, se battent pour lui,avec l’aide d’amis et d’associations. L’aventure tient de l’odyssée tant les difficultés semblent grandes pour un enfant handicapé, notamment en Afrique. Pourtant ils insistent, alors que dans les années 80 les institutions scolaires n’étaient ni sensibilisées ni adaptées. Leur fils apprend à écrire, tout seul, avant d’être inscrit dans un établissement public puis dans une école privée. Il a 12 ans et ses deux premières années sont de telles réussites que le fondateur de l’école, sceptique dans un premier temps, décide de rembourser les frais de scolarité déjà engagés et de ne plus demander un centime pour la suite. Soumaila étudie alors jusqu’en 6e, toujours épaulé par ses camarades. « Ils se battaient pour pousser mon fauteuil jusqu’à l’école située à deux kilomètres de la maison. J’ai dû organiser des roulements », rigole-t-il, avant de s’assombrir : « Malheureusement en grandissant les êtres humains se font plus individualistes. Le problème n’est pas le handicap mais le regard des autres, qui finit par faire mal. »
LE COURAGE D’UN PREMIER EXIL
Arrivé en Seconde, ses parents se ruinant pour lui offrir une scolarité, Soumaila met le holà. « Il faut maintenant que j’arrive à m’en sortir seul », leur annonce-t-il avant d’aller poursuivre ses études dans la capitale administrative du pays, à 300 kilomètres de chez lui. Armé d’une viscérale détermination, Soumaila déplace des montagnes, décroche un bac scientifique puis entre à la fac de droit.
LE TEMPS DE L’ENGAGEMENT ETUDIANT
« Je me suis rapidement rendu compte qu’il n’y avait rien pour les handicapés. L’État n’avait même pas mis en place des bourses. J’ai donc intégré l’association des élèves et étudiants handicapés du Burkina ». Son charisme, sa volonté et son courage le portent rapidement au poste de président.
Son engagement le fait voyager à l’étranger, gagner un peu d’argent, en plus de celui glané grâce à des « petits boulots dans des ONG » et pour lesquels il laisse tomber un temps la fac. « Je ne voulais pas être un poids pour la société, peu importent les souffrances. Au contraire, ce que j’avais vécu devait permettre de changer les choses. Suite à nos actions le gouvernement a débloqué des aides et des bourses pour les handicapés, des logements adaptés ont été aménagés, les règles ont été modifiées », se félicite-t-il.
L’ARRIVEE A SURESNES
Il y a deux ans, Soumaila décide de quitter son pays et de tenter sa chance à l’étranger. « Je désirais étudier le droit des personnes handicapées. La France, pays des droits de l’homme, était l’idéal ». Y parvenir fut un nouveau parcours du combattant, entre demande de visa, recherche de logement et de financement pour lequel une solide chaîne de solidarité s’est tissée. Soumaila, pas du genre à rendre les armes, s’endette et parvient à s’envoler pour la France, s’inscrire à l’université de Cergy et finir par rejoindre la ville de Suresnes, dans le cadre d’Objectif emploi. Initié par Béatrice de Lavalette, adjointe au maire en charge des Ressources humaines et du Dialogue social, le dispositif permet à des étudiants de niveau licence ou master en situation de handicap d’être accompagnés durant une année par un référent professionnel en activité pour les aider à se familiariser avec le monde du travail. Il aborde alors la déontologie, les droits et devoirs des fonctionnaires territoriaux.
Soumaila fait ses preuves, impressionne ses supérieurs qui lui proposent à l’issue de son stage un contrat l’amenant à animer des formations à destination des agents de la Ville, sur ce même sujet. « Suresnes est très sensibilisée au handicap».
L’AVENIR
Je souhaite finir mon diplôme et retourner au Burkina ouvrir un cabinet d’avocats spécialisé dans les droits humains avec un volet sur le handicap et construire un grand centre de formation inclusif, où étudiants handicapés ou non seraient mélangés. » Pour Soumaila, les institutions spécialisées ne doivent pas être la règle mais l’exception. « Il faut laisser les personnes handicapées faire ce qu’elles veulent dans le cadre qu’elles désirent. Si c’est vraiment impossible dans le cadre classique, alors d’accord, on adapte. Mais on ne doit pas imposer l’adaptation. Les règles sont malheureusement établies à l’avance, chacun doit rentrer dans un moule, les handicapés ne pouvant pas faire ci ou ça. J’ai un ordinateur normal, un téléphone normal », insiste-t-il d’une voix qui s’affermit d’un coup alors que le sourire qui illumine en permanence son visage se fait plus discret. Têtu, quand il désire quelque chose, il insiste, inlassablement, même si cela prend des mois, des années. Alors, ses derniers projets ne déconcertent que l’espace d’un instant. Après qu’il aura permis à ses parents de vivre dans de meilleures conditions, il leur envoie régulièrement de l’argent, il souhaite construire un restaurant pour sa maman. Dans son esprit également le désir de traverser le Massif central en tricycle adapté à sa situation et, plus gonflé, de se présenter à l’élection présidentielleau Burkina Faso en 2020…