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21 novembre 2024

Euloge Hinvi à propos de la filière oléagineuse en Afrique de l’Ouest : « Les huiles importées bloquent la production locale »

 Fondée en 2000 à Abidjan, l’Association des industriels  de la filière oléagineuse de l’UEMOA  et de la CEDEAO ( AIFO-UEMOA-CEDEAO)  est une interprofession qui regroupe des acteurs de plusieurs filières oléagineuses issues de l’espace UEMOA-CEDEAO notamment le coton, le karité, l’arachide, le soja et l’huile de palme. Pour mieux connaitre cette structure, nous avons rencontré son secrétaire exécutif, l’ambassadeur Euloge Hinvi  le 28 septembre dernier qui est revenu sur les missions de l’AIFO-UEMOA-CEDEAO, ses objectifs, ses défis et surtout les actions qu’elle compte mener pour mieux promouvoir le secteur de la filière oléagineuse.

Euloge Hinvi

Présentez-nous votre structure et quelles sont ses  missions ?

C’est depuis le 4 juillet 2000 que l’AIFO a été créée à Abidjan.   C’était AIFO-UEMOA, mais à partir de 2018, nous avons décidé d’élargir l’association aux pays membres de la CEDEAO compte tenu d’un certain nombre de paramètres. Aujourd’hui, c’est devenu AIFO-UEMOA-CEDEAO. C’est une  association interprofessionnelle qui regroupe les entreprises productrices d’huiles appelée Association des industriels de la filière oléagineuse  et autres dérivés de l’huile.  Nous acceptons dans nos rangs les associations interprofessionnelles qui ne sont pas nécessairement des productrices d’huile mais qui travaillent dans le secteur de la filière oléagineuse comme c’est le cas de l’Association interprofessionnelle du palmier à huile  (AIPH)  en Côte d’Ivoire qui est membre de l’AIFO-UEMOA-CEDEAO. Le siège régional de l’AIFO-UEMOA-CEDEAO est au Bénin. Notre Association a pour objectif de réunir tous les acteurs de la filière oléagineuse afin qu’ensemble ses acteurs puissent défendre leurs intérêts, partager ensemble leurs expériences en matière de production et de commercialisation de leurs produits et de faire jouer la solidarité entre elles.  Et lorsqu’une des entreprises a des difficultés que  les autres viennent à son secours. Elle comptait 15 membres mais aujourd’hui, elle en compte 9. Certaines sociétés ont dû fermer leurs portes. Il y a des entreprises d’huilerie au Mali comme OUICOMA qui était membre de l’association mais avec ce qui se passe dans ce pays,ce n’est pas facile. En Côte d’Ivoire il y avait des sociétés qui étaient membres  de l’Association qui ont disparu. Donc des 9 membres, nous avons au Bénin, la société d’huilerie FLUDOR, SHB, ODA-Bénin, au Burkina, nous avons SN-CITEC, en Côte d’Ivoire nous avons  PALMCI et   SANIA, au Togo nous avons    Nioto. Depuis 2021, nous avons  BÜNGE LODERS CROKLAAN au Ghana. Nous existons grâce aux cotisations  des membres. Nous ne sommes pas financés ni par un gouvernement ni  par l’UEMOA. Parce qu’on dit AIFO-UEMOA, mais ce n’est pas l’UEMOA qui nous finance. C’est AIFO-UEMOA parce que nous travaillons avec la commission de l’UEMOA pour la réglementation en matière de production, de la distribution de l’huile dans notre sous-région. Les produits sur lesquels nous travaillons sont le coton, le palmier à huile, le soja, le karité, l’anacarde. Nous avons un bureau régional à Cotonou, un bureau  exécutif de 5 membres, un président, 2     vice-présidents, un trésorier général, un secrétaire exécutif.

Pourquoi vous élargir  à la CEDEAO et qu’est-ce qui explique votre présence au Burkina ?

Nous avons décidé de nous élargir à la CEDEAO parce que nous nous sommes lancés depuis 2004 dans la fortification de l’huile. Nos société renforcent l’huile par la vitamine A et d’autres micronutriments afin que nos populations puissent bénéficier de l’huile de bonne qualité  et riche en nutriments nécessaires au développement de la population. Nous constatons que d’autres pays de la sous-région qui ne sont pas membres de notre Association utilise notre logo appelé logo enrichi que nous avons mis en place depuis 2008. Nous l’avons déposé à l’OAPI  et depuis  2018, ce logo a été enregistré par cette organisation. Et depuis lors, c’est devenu notre propriété. Beaucoup utilisent ce logotype de manière abusive, sans contrôle. Quand nous avons mis en place  ce logo, l’UEMOA a aussi mis en place une réglementation qui stipule qu’avant qu’une société n’utilise le logo et l’appose sur son produit, elle doit s’adresser au secrétariat exécutif de  l’AIFO-UEMOA-CEDEAO. Nous envoyons des experts pour aller contrôler le processus de fabrication du produit pour voir si le producteur détient l’équipement  nécessaire pour  la fortification. C’est  à  la suite de ce contrôle par nos experts que nous autorisons oui ou non à la société d’utiliser notre logo. Malheureusement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous nous sommes dit que l’une des solutions à ce problème, c’est d’abord de nous élargir pour ne pas rester fermer. Et de voir comment  les huiliers d’autres pays autres que ceux de l’UEMOA pourront entrer au sein de notre association. C’est ce qui justifie l’élargissement de l’AIFO-UEMOA à la CEDEAO. Nous sommes au Burkina pour une opération de lancement officiel de projet de fortification alimentaire à grande échelle en Afrique de l’Ouest organisée  par Catholic relief services (CRS) . L’AIFO avait  déjà lancé en 2008 un projet du même genre , appelé  «  faire tache d’huile ».Lorsque nous avons commencé à fortifier l’huile , nous nous  sommes adressés à des partenaires tels que HKI qui nous ont aidés à mettre en place un programme pour faire de sorte  à doter toutes nos sociétés d’ appareils pour la fortification. Nous nous sommes lancés aussi dans la sensibilisation, car nous sommes déjà sur le terrain. Quand le programme de CRS est arrivé, l’AIFO-UEMOA-CEDEAO a été invitée à partager son expérience sur la fortification des aliments. Il n’y a pas que l’huile. Il y a le sel,  la farine. Nous  étions dans une dynamique  de relancer une campagne de sensibilisation parce que nous avons des pays qui nous sollicitent comme la Gambie. Il faut protéger la santé de nos populations et c’est un de nos leitmotivs. Nos productions d’huiles au niveau régional ne sont pas  suffisantes pour répondre à la demande d’offres sur le marché. Nos gouvernements ont commencé à importer massivement  de l’huile  d’autres pays tels que la Malaisie et autres.  Mais est-ce que la qualité de ces produits est véritablement contrôlée ? Si cela n’est pas le cas, ces huiles se retrouvent sur le marché  et malheureusement les populations les achètent à moindre coût.  Pourtant le moins cher n’est pas nécessairement la meilleure qualité.

« Notre secteur n’est pas bien réglementé surtout avec les huiles importées qui envahissent nos marchés »

Nous avons eu vent de la tenue les jours à venir d’une assemblée générale de l’AIFO-UEMOA. Pouvez-vous nous en dire plus?

Depuis sa création, l’AIFO-UEMOA-CEDEAO organise chaque année une Assemblée générale  de façon tournante. En 2018, c’était à Lomé au Togo, 2019, à Cotonou au Bénin, avec l’arrivée de la COVID-19, nous la faisons par visio-conférence.    En 2021 en Côte d’Ivoire, nous l’avons reprise en présentiel.  Cette année, c’est au tour  du Burkina de l’organiser. On se penchera sur la vie de l’association,  les problèmes qui se posent à la filière oléagineuse afin de prendre les  décisions idoines.

Quels seront les grands axes de cette rencontre ?

Il  y aura beaucoup de points, mais le point essentiel est la mise en œuvre du plan stratégique au niveau de l’association. Aucune structure viable ne peut fonctionner  sans un plan stratégique. Le plan stratégique permet de définir les objectifs, de  voir les étapes à franchir pour les atteindre  et redynamiser l’association. Si nous voulons une association à caractère régional qui va s’étendre à la CEDEAO , il faut envisager  les stratégies à mettre en place. Une association ne vit pas toujours sur la base des cotisations de ses membres. Nous allons voir comment faire pour obtenir des accompagnements à travers  des partenaires. Nous avons déjà  commis un expert qui élabore le plan stratégique que nous allons examiner et l’adopter s’il nous convient.

En 2016,  vous étiez au Burkina justement pour la 16e  édition de cette rencontre, vous avez plaidé au cours de cette édition pour une réglementation de votre secteur. Pouvons-nous dire que les lignes ont bougé depuis lors ?

« Nos gouvernements ne contrôlent pas beaucoup ces produits »

C’est une question très sensible pour nous.  Notre secteur n’est pas bien réglementé surtout avec les huiles importées qui envahissent nos marchés. Les huiles importées bloquent la production locale. La production locale est de meilleure qualité nécessairement, donc  le coût devient plus cher. Mais ce qui est importé, certains de nos gouvernements baissent les taxes à la douane pour faire rentrer ces produits. Quand ils viennent sur les marchés, ils  sont moins cher. Donc  libre concurrence avec les  produits locaux. Les gens préfèrent acheter ces produits qui viennent de l’extérieur au lieu des produits locaux  qui sont mieux contrôlés que les produits importés qui rentrent parfois de manière frauduleuse. Nous avons demandé une réglementation de la commission de l’UEMOA pour qu’elle intervienne. Nous avons demandé qu’on réduise  la TVA sur  les produits huiliers, pour qu’ils soient concurrentiels sur nos marchés.  Et l’UEMOA a pris une directive pour fixer  à 5% la TVA. Malheureusement nos Etats ne respectent pas  cette directive. Certains Etats ont commencé à appliquer, mais la plupart des Etats continuent d’appliquer le même taux sur la TVA sur l’huile qui varie entre 15 et 18%.   Cela rend difficile la production locale qui devient plus chère  que ce qui est importé.

Quels sont alors les défis de l’AIFO-UEMOA-CEDEAO ?

C’est d’obtenir une réduction  de la TVA.  Que la directive de l’UEMOA soit respectée. C’est faire en sorte que nos gouvernements accompagnent nos efforts en matière de fortification en contrôlant davantage les produits qui rentrent chez nous et certains produis fabriqués localement et qui ne sont pas  de très bonne qualité. Nos gouvernements ne contrôlent pas beaucoup ces produits. Pourtant dans ces huiles, il y a des matières nocives.

Que proposez-vous comme alternatives alors ?

Que les gouvernements acceptent de travailler avec nous et de nous épauler. Que les gouvernements exercent davantage le contrôle les produits importés vendus frauduleusement sur le marché.   Que les gouvernements réduisent la TVA qui pèse beaucoup sur nos entreprises  pour faire en sorte qu’au finish, la production locale soit  concurrentielle  sur le marché. Sensibiliser nos populations surtout à travers les médias à faire attention sur ce qu’elles consomment. Ce que nous attendons de la presse, c’est de  sensibiliser les populations en langues nationales sur leur consommation.

Les populations sont confrontées souvent à l’indisponibilité de l’huile alimentaire. Qu’est-ce qui est fait par votre structure pour pallier cette situation ? 

Nous ne sommes pas encore autosuffisants. Nous  transformons la matière première locale  et si la production locale est faible, cela joue sur la quantité des produits. La matière première qui est produite chez nous sort  frauduleusement et se retrouve sur d’autres marchés. Tout cela fait que nos entreprises manquent de matières premières. Pour une société qui tourne à 100 000t par  an et pour la transformation ne trouve que 50 000t, 60000t, elle va transformer ce qu’elle a .  Nous ne sommes pas contre l’idée qu’on importe le complément pour ne pas créer une pénurie artificielle. Il faut que ce qui est importé soit mieux contrôlé pour protéger la santé de nos populations.

« La matière première est exportée  et cela profite aux entreprises extérieures »

Pouvez-vous rassurer que pour les prochaines campagnes,  ce problème sera définitivement derrière nous pour parer à l’indisponibilité de l’huile alimentaire ?

Ce n’est pas l’indisponibilité, mais nous n’arrivons pas à faire face à la quantité demandée. Nous devons faire une politique régionale. Nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d’une politique régionale de nos  productions de façon à ce que quand la Côte d’Ivoire est autosuffisante en huile végétale et exporte vers l’extérieur, qu’elle  exporte ses produits  vers l’extérieur de l’Afrique et qu’ils soient recyclés au niveau de la sous-région. Les gens estiment  que s’ils exportent vers l’extérieur, c’est plus intéressant car ils engrangent beaucoup de ressources financières. Mais on peut mettre une politique pour que, de  l’huile fabriquée en Côte d’Ivoire, le surplus soit envoyé sur le marché régional. Si au Bénin, il y a un surplus d’huile, que cela soit envoyé sur le marché régional pour combler le déficit au niveau régional au lieu d’envoyer tout cela vers l’extérieur. Que nos gouvernements prennent aussi des mesures en faveur  des sociétés nationales à l’instar du Sénégal où des sociétés  n’avaient plus d’arachides pour leur transformation parce que les Chinois payaient plus cher chez les producteurs. Et ces producteurs   préfèrent vendre leurs produits aux Chinois au détriment des sociétés locales. Si le gouvernement laisse faire, donc les sociétés locales ne pourront pas produire. La matière première est exportée  et cela profite aux entreprises extérieures et profite à la main d’œuvre de ces pays au détriment de nos usines  et de la main d’œuvre locale. Il faut aussi sensibiliser les populations qu’en consommant nos produits locaux, elles contribuent à faire avancer les économies locales.

Avez-vous quelque chose à ajouter pour clore notre entretien ?

Nous souhaitions que la presse soit notre relais, notre porte-parole  auprès des populations, car elles écoutent beaucoup la radio et ainsi les médias toucheront  les populations les plus éloignées.

Interview réalisée par Boukary BOGRE

By Ib_Z

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