L’Alliance des Etats du Sahel a vu le jour en septembre dernier sous l’impulsion des gouvernements de 3 pays sahéliens à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Elle fut présentée comme une alliance de défense qui devrait permettre de renforcer la coopération militaire entre les pays notamment dans la lutte contre le terrorisme et les autres formes d’agression extérieure. De cet objectif initial, l’AES semble s’orienter en plus vers une union économique voire monétaire. En effet, une rencontre entre les différents ministres de l’économie des Etats membres de l’AES tenue en novembre dernier a abouti à la publication d’une déclaration contenant des objectifs et actions à mener faisant penser à une évolution probable vers une union économique et monétaire.
Sur la question de l’union économique, les grandes perspectives sont annoncées notamment :
– L’amélioration de la libre circulation des personnes dans l’espace AES ;
– Le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement en luttant notamment contre pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES ;
– La création d’une compagnie aérienne commune aux Etats de l’AES.
Il a été également annoncé la mise en place d’un comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’union économique et monétaire et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement.
Si la création du fonds de stabilisation et celle de la Banque de d’investissement ne soulèvent pas beaucoup de débats, la question de l’union monétaire soulève quand-même des interrogations et des inquiétudes de part et d’autres. Il se pose donc la question de la pertinence d’aller ou pas vers la création d’une monnaie commune de l’AES. De notre analyse, 4 facteurs militent en faveur d’une telle évolution. Il s’agit :
– L’évolution des relations entre les pays membres de l’AES et la France : depuis bientôt 3 ans pour le Mali et quelques mois pour le Burkina et le Niger, les relations sont tendues avec la France. Cela est marqué par la remise en cause de beaucoup de conventions et partenariats datant pour certains de plusieurs décennies, d’accusations mutuelles dans la lutte contre le terrorisme etc. Dans un tel contexte, il n’est pas judicieux pour ces pays de maintenir la métropole comme pays garant de la qualité de leur monnaie dans les transactions internationales. Ce maintien serait de moins en moins justifié surtout avec le discours politique tendant vers la souveraineté retrouvée ;
– Le 2ème élément à prendre en compte est l’opinion publique qui est majoritairement défavorable au maintien de la monnaie actuelle. En effet, l’opinion pense à tort ou à raison que le sous-développement de nos pays est lié à l’arrimage du franc CFA au franc français d’avant et à l’Euro actuel. Bien que cela soit difficile à démontrer de manière scientifique, nous sommes en face d’une cristallisation de positions qui ne permet pas de réfléchir plus sérieusement sur les questions de développement. Aussi, les défenseurs du FCFA ne sont pas aidés par la situation de quasi-stagnation des économies des pays concernés par rapport à leurs voisins anglophones dont le chemin vers le développement semble mieux tracé malgré le non arrimage de leurs monnaies avec celle de leur ancienne métropole. Pour couper donc court à ce débat qui ne fait que perdurer, une union monétaire au sein de l’AES pourrait être la bienvenue ;
– Le 3ème élément à prendre en compte est la crispation des relations entre les pays membres de l’AES et les autres pays membres de l’UEMOA avec un climat de quasi défiance qui s’est installé depuis juillet 2023 ;
– Enfin, l’AES parait être une zone beaucoup plus homogène en termes économiques que l’UEMOA. En effet, les Etats membres de l’AES ont quasiment les mêmes structures de base de l’économie à savoir une orientation forte vers l’importation des biens et services avec une balance des paiements déficitaire. Les prises de décision en matière de politique monétaire devraient donc être plus simples à l’intérieur d’une telle union monétaire.
Il convient de noter que la convergence des Etats de l’AES pourrait contribuer sérieusement à atténuer les effets des sanctions imposées par la communauté internationale mais surtout par la CEDEAO et l’UEMOA.
Cependant, s’agissant d’une question assez sérieuse dont la mise en œuvre pourrait bouleverser sérieusement les équilibres économiques actuels, les Etats membres devraient tout d’abord travailler à mieux cerner les raisons de l’échec du franc malien ayant contraint le Mali à revenir au sein de la BCEAO dans les années 1980. Aussi, une des forces de l’UMOA est la solidité institutionnelle dont les décisions sont prises en considérant toutes les implications économiques possibles (la lutte contre l’inflation ces derniers mois prouve cette force institutionnelle) et il faudrait que les institutions à mettre en place soient le plus possible dépersonnalisées et fonctionner sur la base de principes économiques reconnues au profit des masses et non des élites dirigeantes. En sus, considérant la stabilité actuelle de la zone franc, l’union monétaire dans la zone AES pourrait intervenir en dernier ressort après la formalisation institutionnelle et la réalisation de progrès sur les questions liées à l’union économique. Enfin, l’aboutissement du projet de monnaie de l’AES pourrait sonner le glas du projet de monnaie commune CEDEAO.
Mamadou BARRY
Analyste financier