Pour faciliter le transit de leurs produits, les Burkinabè ont choisi de passer par le Ghana, pays frontalier offrant un accès à la mer grâce au port de Tema. Cependant, depuis quelque temps, les transporteurs et chauffeurs routiers burkinabè sont victimes d’insécurité et de tracasseries sur le corridor ghanéen. Cette situation s’est aggravée au cours de l’année 2023, avec les derniers incidents signalés en avril et mai 2024. Le plus récent concerne l’agression violente d’un chauffeur aux environs de la capitale, Accra, et qui a été en plus dépouillé de tous ses biens. À ce sujet, nous avons eu un entretien avec El Hadj Oumar Ouédraogo, président du Syndicat national des Commerçants et Transporteurs burkinabè contre l’implantation de la vie chère au Burkina Faso (Synactiv-BF) et vice-président chargé du transport routier de marchandises diverses au sein de la Fédération unique des transporteurs routiers du Burkina (FUTRB). Avec Oumar Ouédraogo, nous avons discuté de la situation des transporteurs et chauffeurs sur le corridor ghanéen, des cas d’agressions et des actions probables à venir.
Pouvoir-vous nous donner plus de détails sur les incidents récents impliquant des chauffeurs burkinabè en transit du Ghana vers le Burkina Faso ?
Oumar Ouédraogo : Effectivement, nous avons rencontré des problèmes d’agressions des chauffeurs et transporteurs burkinabè sur la route entre le Burkina Faso et le Ghana. Ces situations se produisent le plus souvent entre le port de Tema et Bolgatanga, une ville ghanéenne située près de la frontière. Cependant, la zone où les attaques, agressions et vols sont les plus fréquents se situe surtout entre la capitale Accra et Kumasi. De nombreux chauffeurs ont été victimes de ces incidents sur ce tronçon. Les agresseurs leur ont retiré leur argent et les ont battus jusqu’au sang. Hier encore (Ndlr : mercredi 30 mai 2024), un de mes chauffeurs a été agressé. Ils ont d’abord coupé les tuyaux de conduite d’air du camion avant de dépouiller les occupants de tous leurs biens, y compris les derniers centimes. Même les frais de route n’ont pas été épargnés. Ce qui nous fait le plus mal dans cette affaire, ce n’est pas tant le fait de dépouiller les chauffeurs, mais plutôt de leur porter atteinte physiquement. Nous avons même eu des chauffeurs qui ont perdu la vie ces derniers temps. De plus, ce n’est pas que les autorités chargées de la sécurité ne sont pas au courant. Elles le sont, mais nous nous demandons à chaque fois pourquoi ce silence et cette négligence ?
Pensez-vous là, que ce sont actes prémédités ?
Nous ne saurions le dire exactement, mais le fait notable de cette affaire est que ce sont toujours les camions burkinabè qui sont victimes de ces braquages. Vous n’entendrez jamais qu’un camion ghanéen a été victime d’une telle situation. Je suis sur ce corridor depuis plusieurs années, mais je n’ai jamais entendu parler de cela. La question que l’on se pose est la suivante : pourquoi ce sont toujours les camions burkinabè et pas les autres ? À côté de cela, je signale aussi que, depuis quelque temps, les camions maliens et nigériens commencent également à être victimes de ces attaques.
« Les policiers extorquaient des sommes sans aucune
base légale qui pouvaient s’élever à plus de 200 000 F CFA »
Quelles sont les principales préoccupations et revendications de votre syndicat suite à ces événements ?
En allant vers le Ghana pour nos affaires, nous avons estimé que nous étions des frères et que nous pouvions facilement faire des affaires ensemble. Cela a conduit une partie de nos marchandises à transiter par ce pays via le monde. Cependant, si nous ne pouvons plus compter sur ce pays et ses habitants pour mener nos affaires, cela devient très difficile pour nous. C’est pourquoi nous estimons qu’il faut trouver une solution à cette situation. Nous avons demandé à nos autorités de prendre cette affaire à bras-le-corps, car elle commence à gangrener tout le secteur du transport. Si les autorités ghanéennes ne peuvent pas assurer notre sécurité pour que nous puissions commercer tranquillement et en toute sécurité, nous, les transporteurs, devrons décider de la suite à donner à notre activité. Nous pensons que cette situation a trop duré et qu’il est temps pour nos autorités de trouver une solution adéquate. Personnellement, je me suis rendu au Ghana où j’ai eu un entretien avec le directeur général du port. Ce jour-là, nous avons discuté des problèmes qui affectent le secteur du transport, notamment les agressions. Il m’a promis qu’ils allaient trouver une solution adéquate à ce problème. D’autres responsables de structures dans le secteur du transport ont également pris des initiatives similaires. Nous pensons qu’avec autant d’interpellations sur le sujet, il serait préférable de résoudre ce problème avant que le pire n’arrive. Si les autorités ghanéennes estiment qu’elles ne peuvent pas trouver de solution, nous envisagerons peut-être de nous tourner vers d’autres ports où nous pourrons travailler en sécurité et en toute quiétude
Est-ce à dire que comme vous l’aviez fait dans le passé au Togo, vous allez cette fois-ci aussi demander à vos compatriotes de ne plus aller vers le port du Ghana ?
S’il n’y a pas de solution et s’il n’est pas possible d’améliorer la situation, nous serons contraints de changer de port. Dans cette activité, l’absence de sécurité est problématique. Un camion chargé représente des millions. Il en va de même pour les chauffeurs. Si nous ne pouvons pas assurer leur sécurité, cela devient très compliqué. Nous ne pouvons pas prendre le risque de tout perdre dans ce cas.
Avez-vous déjà rencontré les autorités burkinabè pour en parler ?
À ce jour, je peux vous assurer qu’il n’existe aucune structure dans le secteur du transport au Burkina qui ne soit informée de cette affaire. Elles sont toutes au courant, ainsi que les autorités. En effet, il y a quelques jours, dans le journal Le Quotidien, le Directeur Général du Comptoir Burkinabè de Chargeurs a reconnu que des chauffeurs burkinabè ont été victimes de braquages. Ces incidents ont toujours été rapportés à la Représentation, qui a multiplié les actions pour trouver des solutions. Il a également indiqué que les autorités ghanéennes ont été saisies ; des missions d’assistance ont été organisées, des sensibilisations ont été effectuées auprès des chauffeurs, et certains ont été reçus à la Représentation du CBC. La Représentation a également saisi l’ambassade du Burkina au Ghana par des correspondances, ainsi que les autorités au niveau national. Même la FUTRB est informée de cette affaire.
Au regard de la recrudescence de la situation, qu’est-ce que vous attendez concrètement des autorités burkinabè ?
Nous souhaitons que nos autorités prennent contact avec celles du Ghana, ainsi qu’avec les syndicats des transporteurs des deux pays, afin de résoudre définitivement cette affaire. Cette rencontre doit inclure tous les syndicats des transporteurs pour éviter toute désinformation par la suite. Nous pensons que, si les Ghanéens le souhaitent réellement, ces échanges permettront de trouver une solution à ce problème.
Quelles actions votre syndicat envisage-t-il mener si les besoins de sécurité ne sont pas satisfaits par les autorités ?
Si toutefois, cette affaire n’a toujours pas de solution, comme je l’ai mentionné précédemment, il n’est pas nécessaire que nos marchandises transitent par le Ghana. Il existe d’autres ports tels que Lomé, Abidjan, San Pedro, et bien d’autres. Nous pouvons même utiliser les ports du Sénégal, cela ne pose aucun problème.
« Si nous devions arrêter d’aller au Ghana, ce ne serait pas de gaieté de cœur »
Expliquez-nous justement les tracasseries sur cet axe
En effet, auparavant, il y avait trop de tracasseries. Les chauffeurs avaient du mal à circuler à cause des barrières de policiers, surtout au Ghana, qui leur extorquaient des sommes non réglementaires. Ces frais illégaux pouvaient s’élever à plus de 200 000 F CFA pour un aller-retour, car à chaque poste, on devait payer sans recevoir de document attestant le paiement de telle ou telle somme pour telle ou telle raison. Cela représentait un coût énorme pour nous, les transporteurs, et surtout pour les commerçants. Mais tout a changé depuis que les affaires de braquages ont éclaté. Suite aux dénonciations répétées, une note est parue il y a à peine un mois, interdisant aux policiers ghanéens de prendre de l’argent aux chauffeurs en transit.
Comment les usagers peuvent-ils soutenir votre cause ou participer à des efforts visant à résoudre cette situation ?
Aujourd’hui, si nous arrêtons nos activités sur ce corridor, les premiers à en souffrir seront les populations. Nous souhaitons que les populations soient informées de la situation actuelle au Ghana concernant les transporteurs. Il est important qu’elles sachent que les chauffeurs et transporteurs burkinabè sont victimes de diverses agressions par des citoyens ghanéens sur le territoire ghanéen. Malgré cette situation, ils continuent de faire des efforts pour faire transiter leurs marchandises par ce corridor. Nous voulons que les Burkinabè ne nous voient pas comme des ennemis ou des personnes ne pensant qu’à leurs propres gains, mais comme des acteurs économiques conscients des enjeux. Si nous devions arrêter d’aller au Ghana, ce ne serait pas de gaieté de cœur, mais pour éviter de nouvelles pertes humaines parmi les Burkinabè.
En attendant les agressions continuent. En témoignent celles à la date du mercredi 28 mai 2024. Qu’est-ce que vous allez faire pour vous faire entendre ?
Pour le moment, nous occupons les bureaux des autorités pour leur expliquer notre situation. Si cela persiste malgré nos efforts, il ne faudra pas nous en vouloir, car nous n’aurons pas d’autres choix. Il y a à peine quelques jours, des agresseurs ont tiré à bout portant sur un chauffeur, le tuant sur le coup. Comment peut-on nous ignorer face à une telle tragédie ? Nous ne savons pas si cela relève de la négligence, mais cela en a tout l’air. Si les autorités ne reconnaissent pas l’importance de notre activité pour le pays, il nous incombe de démontrer que nous jouons un rôle important dans la société.
Y a-t-il d’autres informations importantes que vous aimeriez partager concernant cette situation ou les actions de votre syndicat ?
Nous exhortons une fois de plus les autorités à prendre cette affaire au sérieux afin d’éviter le pire. Nous leur lançons cet appel car il s’agit de Burkinabè, qui risquent leurs vies pour ravitailler le pays, surtout en cette période de crise sécuritaire. Nous sommes conscients de la difficulté de la situation actuelle et des nombreux fronts sur lesquels elles sont engagées. C’est pourquoi nous implorons que la paix revienne au Burkina Faso.