Plusieurs types de drogues transitent par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, avec pour destination l’Europe. Nourri à la mamelle des frontières poreuses et de l’insuffisance des moyens de lutte, ce trafic alimente le crime au Sahel.
Entre janvier et octobre 2021, la douane du Burkina Faso a saisi au moins 78,11 tonnes de drogue. Durant la période de novembre 2017 à février 2018, ce sont plus de 15 tonnes de drogue qui ont été mises hors des circuits de distribution. Au Mali, l’Office central de stupéfiants a saisi près de 20 tonnes de drogue pendant les six premiers mois de l’année 2021, contre 15 tonnes en 2020. Le record de 2021 a été battu du 29 au 30 mai 2021 dans le village de Daba avec la saisie de 5, 328 tonnes de drogue. Le 2 mai 2021, un total de 17 tonnes de résine de cannabis ont été interceptées à Niamey, dans le cadre des opérations “Lionfish” visant à désorganiser le trafic de drogues en Afrique et au Moyen-Orient, coordonnées par Interpol.
Les quantités de drogue transitant par ces trois pays ne sont que des chiffres approximatifs car principalement fondées sur les saisies. Mais leur augmentation est un indice de l’intensification des activités illicites dans la région Afrique de l’Ouest.
Le trafic de stupéfiants se développe de plus en plus au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Plusieurs types de drogues pénètrent illicitement dans ces trois pays : le cannabis, le chanvre indien, les drogues dures (héroïne, cocaïne, khat), les médicaments prohibés ou à usage détourné comme le tramadol, révèlent des documents douaniers, le Comité national de lutte contre la drogue au Burkina Faso et l’Office central des stupéfiants au Mali.
Les saisies de tramadol en Afrique sont passées de 8 tonnes en 2013 à 111 tonnes en 2017, révèle le Rapport mondial 2020 de l’Office de Nations-Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Le tramadol est trafiqué pour un usage non médical et est beaucoup consommé par les personnes exerçant des travaux physiques : orpailleurs, producteurs agricoles, ouvriers de grands chantiers. Son trafic constitue une grande menace en Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord, souligne l’ONUDC.
Le cannabis et les médicaments prohibés ou à usage détourné sont consommés dans le milieu des jeunes et des prostituées. Quant aux drogues dures, généralement plus chères, elles sont consommées par des personnes financièrement nanties : des expatriés résidents, des prostituées de luxe, des stars de la musique et du cinéma, les groupes armés. Au Mali, des agents et soldats de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) en consomment aussi, révèlent des informations obtenues auprès de l’Office central des stupéfiants.
Frontières poreuses
Les drogues proviennent généralement de Bombay en Asie, de la Colombie et du Brésil en Amérique latine. La Colombie est le pays d’où proviendrait 70 % de la production mondiale de cocaïne. La superficie consacrée à sa culture y a augmenté de 17 % et la quantité produite de 31 %, en raison principalement de l’accroissement de la superficie de production, note le rapport mondial 2019 sur les drogues.
Les drogues dites faibles, le cannabis et le chanvre indien, sont fréquemment saisies dans les zones frontalières entre le Burkina Faso et le Ghana. Ce pays constitue également avec le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire, des lieux de provenance des amphétamines, du tramadol et autres médicaments prohibés sur le sol burkinabè. Ces substances nocives y entrent par les zones frontalières des régions du Centre-Est, de l’Est, du Centre-Sud et du Sud-Ouest, selon les informations fournies par la douane du Burkina Faso et le Comité national de lutte contre la drogue. Quant aux drogues dites dures, l’héroïne, la cocaïne, le khat, elles y pénètrent, le plus souvent, non seulement en passant par Addis-Abeba mais aussi Lomé, Cotonou et Lagos.
Du Burkina Faso, la drogue transite pour le Mali. Le Burkina Faso en est un pays de transit à cause du coût de transport jugé abordable, renseigne le Comité national de lutte contre la drogue. Selon l’itinéraire décrit par l’Office central des stupéfiants du Mali, la drogue emprunte l’axe Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) – Faramana-Koury (Mali). De Koury, une quantité est fournie à Ségou pour ravitailler des villes du centre et du nord. De Koury à Koutiala, une autre quantité est répartie entre Sikasso et Bamako par des axes routiers contournant les principaux points de contrôle des forces de sécurité. De Koutiala à Bamako, les stupéfiants traversent les villages de Bobola, Bassan et Tiélé. A partir de Tiélé, dans la commune rurale de Baguinéda, cercle de Kati, ils sont dispersés, camouflés dans des sacs de légumes ou de charbon, dans les fermes agricoles et sur le marché bamakois par de petits véhicules privés banalisés. Parfois, la drogue entre au Mali par la République de Guinée.
D’autres portes d’entrée de la drogue au Mali existent. En transitant par le nord, elle emprunte des axes régionaux relativement stables, indique le rapport du 13 décembre 2018 d’International Crisis Group. Tous les flux de résine de cannabis ou haschich viennent du Maroc pour rejoindre la Libye et le Tchad, puis l’Egypte, en passant par le Niger ou le Sud de l’Algérie. La cocaïne part des ports d’Afrique de l’Ouest vers ceux du Maghreb. La localité d’In-Khalil, située à quelques kilomètres de Bordj Badji Mokhtar, une ville de l’extrême sud algérien, était, dans les années 2000, la principale plaque tournante du trafic de drogue et d’armes dans le septentrion malien.
A partir du Mali, la drogue continue son chemin, avec pour destination, l’Europe. Le mécanisme du trafic n’est pas maîtrisé par les douanes et les autres structures de lutte contre la drogue dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui servent à la fois de zone de consommation et de transit.
Les voies de trafic mises en évidence grâce aux saisies et enquêtes des douanes et des polices révèlent une prédominance des voies terrestres sur les voies aériennes. Par l’avion, les stupéfiants sont dissimulés dans des bagages de passagers. Par la route, ils sont cachés dans des conteneurs de marchandises en double fond, des véhicules utilitaires de transport de marchandises ou de tourisme, des motocyclettes et des bicyclettes. Chaque engin à deux roues peut transporter 200 à 400 kg.
Financement du terrorisme
L’ONUDC décrit la région sahélienne comme étant une route de commerce et de migration où « le manque d’autorité étatique, la faiblesse des systèmes judiciaires, l’effondrement de l’économie pastorale traditionnelle, la corruption et la présence d’armes à feu ont créé un environnement propice idéal pour le trafic illicite, le crime organisé, le terrorisme, la corruption et le blanchiment d’argent ».
Le trafic de drogue finance le terrorisme. Plusieurs rapports de l’ONUDC ont établi un lien étroit entre la drogue et le terrorisme dans la bande sahélo sahélienne dont une partie touche le Burkina Faso. Il ressort en effet de ces documents que le terrorisme s’adosse non seulement en grande partie à la toxicomanie mais aussi qu’il est constamment financé à travers le commerce illicite de la drogue.
Le phénomène constitue avec les fraudes fiscales et les droits d’accises, le détournement de fonds publics, le change et l’enrichissement illicites, le trafic de l’or et des espèces fauniques les principales sources de revenus de la criminalité, souligne la note technique relative à l’application par le Burkina Faso des recommandations de la 27e réunion des chefs des services chargés au plan national de la lutte contre le trafic illicite des drogues, tenue du 18 au 22 septembre 2017 à Hurghada en Égypte.
L’ONUDC cite le Mali dans son rapport 2013 parmi les principaux pays de transit de la cocaïne en Afrique de l’Ouest associant plusieurs activités connexes qui perturbent dangereusement la stabilité des institutions. La drogue qui transite par le Nord de ce pays est source d’incidents criminels, avec morts d’hommes. Le narcotrafic finance plusieurs groupes armés dans cette zone et leur permet d’acquérir des armes et des véhicules, souligne International Crisis Group dans son rapport numéro 267 du 13 décembre 2018.
Alors que le trafic de drogue s’intensifie au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les capacités des gouvernements nationaux à surveiller leurs frontières et à lutter contre le phénomène sont toujours faibles.
Des personnalités impliquées
Le trafic de drogue impliquerait des commerçants véreux, des personnalités politiques et militaires. Si ce phénomène est le fait de jeunes au chômage, ceux-ci ne seraient qu’au bas de l’échelle, analysent plusieurs observateurs.
Au Burkina Faso, les trafiquants se font ravitailler par des passeurs à partir d’entrepôts situés au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ghana ou au Togo. Cependant, le mystère sur les barons de la drogue burkinabè reste entier. Ils sont inconnus jusqu’à ce jour. Les contrebandiers transportant la marchandise des entrepôts clandestins vers les sites de distribution, surpris par les agents des douanes abandonnent leurs charges et prennent la clé des champs. Il s’agit donc de fugitifs inconnus, ce qui ne permet pas de remonter jusqu’aux vrais trafiquants, explique la Direction générale de la douane burkinabè.
Un rapport des experts de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) rendu public le 14 août 2021 révèle que le trafic se fait avec la complicité de certains hauts gradés de l’armée malienne. Il ressort de ce rapport que l’ex-directeur des Services secrets, le Général Moussa Diawara, et son adjoint, le Colonel Ibrahim Sanogo, protègent des trafiquants de drogue. En contrepartie, de l’argent leur est versé mensuellement par Mohamed Ould Mataly. Originaire de Gao, Ould Mataly est un ancien député de l’ex-parti au pouvoir et une personnalité influente dans le nord du Mali. Il est sous le coup de sanctions onusiennes depuis 2019 pour ses liens supposés avec la criminalité organisée dans cette partie du Mali. Liens qu’il a toujours démentis.
Traditionnellement, les tribus arabes, notamment Lamhar du Tilemsi (région de Gao) et Berabiche (principalement à Tombouctou et Taoudénit) détenaient un quasi-monopole sur le trafic de drogue, note le rapport du 13 décembre 2018 d’International Crisis Group. Pour se développer, le trafic de drogue profite d’un État indifférent, complice, tolérant ou incapable d’y mettre un terme. Il peut aussi partir d’une absence totale de l’État et du désordre que cela génère. Le niveau de pénétration de la drogue au Burkina Faso, au Mali et au Niger révèle l’amer constat de l’insuffisance voire de l’inefficacité des moyens de lutte contre le trafic. Tant nationaux que régionaux.
L’opération Benkadi contre la criminalité transfrontalière, une coopération entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso, mise en place par l’ONUDC, sonne comme une alternative conjoncturelle aux défaillances nationales et même communautaires. Lancée entre avril et septembre 2020 pour renforcer la coopération et la coordination transfrontalière en matière de trafic illicite de drogues, elle a permis la saisie de 17 kilogrammes de cannabis, plus d’un kilogramme d’amphétamines, et 6,5 tonnes de médicaments frauduleux.
Le Programme de communication aéroportuaire (AIRCOP), financé par l’Union Européenne, le Japon et la Norvège, met en commun les efforts de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), d’Interpol et de l’ONUDC. Dans ce cadre, l’ONUDC soutient les agents de la Cellule aéroportuaire anti-trafic (CAAT), une unité spécialisée du contrôle frontalier, mise en place dans les aéroports internationaux du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
L’ONUDC apporte aussi son soutien aux gouvernements nationaux pour le renforcement des capacités des agents d’application de la loi pour la lutte contre le trafic de drogue. Son Programme Sahel organise des formations sur les techniques d’investigation et d’identification des drogues, en direction des unités spécialisées chargées de combattre le phénomène. L’ONUDC les appuie dans le contrôle des frontières terrestres, aériennes et maritimes, les techniques d’enquête et d’identification des drogues, ainsi que le partage de renseignement opérationnel.
L’un dans l’autre, le trafic de drogue s’intensifie et constitue une opportunité de financements au profit de la criminalité et une menace pour la sécurité des États.
Enquête réalisée par
– Gaston Bonheur SAWADOGO (Burkina Faso),
– Abdoul Momini BOKOUM (Mali)
– et Ramdane GIDIGORO (Niger),
avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)
©️ CENOZO (janvier 2022)