Le Burkina Faso compte une taille démographique importante au niveau de la diaspora. Elle s’estime aujourd’hui à de millions de Burkinabè qui vivent hors de leur terre d’origine. Dans l’optique de cerner leur quotidien, nous avons échangé avec, Hugues Rachid Congo, président de l’Organisation des Burkinabè de France le mardi 15 février 2022. Avec cet ancien président de la CENI/France en séjour au Burkina Faso pour le compte de la diaspora, il était question du nouveau tournant de la vie politique burkinabè avec un changement à la tête de l’Etat. Un changement qui s’est opéré le 24 janvier dernier avec par un coup de force des militaires. L’architecte logiciel de formation mais reconverti dans les relations internationales, a aussi déballer des questions liées à la vie des Burkinabè en France.
Étant de la diaspora Comment avez- vous accueilli le coup d’état du 24 janvier 2022 ?
Hugues Rachid Congo : Malgré nos craintes fondées sur d’éventuelles tentatives de prises forcées du pouvoir à cause des appels à la démission du Président du Faso, je n’en demeurais pas moins sûr que le coup viendrait des « milos ». Je déplore vraiment ce grand recul démocratique comme la plupart des démocrates, qui voient désormais un tel acquis s’éloigner peu à peu de nos contrées.
Le régime vient de changer, quelles sont les attentes des acteurs de la diaspora vis-à-vis des nouveaux hommes forts ?
Nous exhortons premièrement qu’ils libèrent l’ancien président du Faso, qui ne représente plus une menace pour le pouvoir actuel. En plus de cela ils ont scandé fort leur volonté de travailler avec tous les Burkinabè. Ensuite qu’ils s’occupent de leur première tâche fondamentale qui est le retour de la sécurité au Burkina Faso. Tous les Burkinabè attendent des résultats très vite à ce niveau, c’est pourquoi d’ailleurs ils ont l’assentiment du peuple. “Qui de mieux qu’un forgeron pour forger le métal ?” Ils sont intrinsèquement ceux qui s’occupent de cet aspect dans la société. Enfin, qu’ils fassent une proposition d’agenda en adéquation avec non seulement un calendrier de libération des territoires hors contrôles de l’Etat, mais aussi vers une transition acceptée et partagée de tous, opinion régionale et internationale y compris.
Très bientôt une charte sera proposée, est-ce que la diaspora a été approchée pour des propositions ?
Pas du tout et nous déplorons cette façon de faire, où ce sont les Burkinabè de l’intérieur qui sont seulement pris en compte. Depuis que la diaspora vote maintenant, elle a ce qu’on appelle « la dette morale », le sentiment de redevabilité, qui malheureusement n’est exploité par aucune autorité jusqu’à maintenant. Tout porte à croire que le pouvoir du MPSR est aussi dans cette démarche d’exclusion, car la diaspora n’est pas représentée dans la composition des membres désignés pour la proposition de la charte de la transition. Pourtant une telle inclusion prendrait en compte les prédispositions de la diaspora à accompagner la sortie de crise et le développement du pays.
Selon vous, quels sont les chantiers auxquels doit s’attaquer le MPSR ?
Le MPSR émanant d’un pouvoir militaire ne doit s’occuper que de ramener la sécurité au Burkina Faso point à la ligne. C’est ainsi qu’il est constitué et donc en cela qu’elle doit exceller et nulle part ailleurs. Ils seront jugés sur cette base seulement. Car si les oiseaux veulent commencer à nager et les éléphants à voler, nous n’allons pas nous en sortir. Que chacun fasse ceux en quoi il est meilleur.
Quelles sont les attentes de la diaspora ?
La diaspora n’est sollicitée que lorsqu’on a besoin qu’elle contribue financièrement à une crise, et même là il y’a aucune reconnaissance officielle. Il faut que cela cesse, on doit commencer à nous prendre un peu plus au sérieux que cela car nous regorgeons d’autant de potentialités que les Burkinabè de l’intérieur. Nous avons une expertise de la diaspora avérée qui n’est plus à démontrer, capable d’interagir avec les décideurs nationaux pour construire de véritables stratégies de croissance, des investisseurs conséquents qui peuvent mettre autant que ceux étrangers qui ramèneront d’ailleurs les capitaux acquis contrairement à nous. Nous avons du tout dans notre diaspora, en quantité comme en qualité, qui ne demande qu’à être utile.
Comment êtes-vous organisés là-bas ?
Nous sommes organisés en associations et en fédérations d’associations. Il y’a aussi le délégué CSBE (Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger) dont le format actuel est inopérant et dessert notre diaspora. Les associations quant à elles, sont des communautés d’entraide et parfois de défense de droits pour celles qui sont à caractère syndical. Chacune est obligée de construire son propre pont pour avoir une ouverture avec le pays, car rien n’est mis en place par les autorités pour que ces structures puissent communiquer avec le pays de manière organisée. Tout le monde fait son réseau. On se retrouve donc avec de gros efforts faits par ces associations pour le pays mais très peu de visibilité car structurellement elles ne sont légitimes que dans leur pays d’accueil.
Bon nombre de Burkinabè résident aujourd’hui en France. Comment se porte la collaboration entre les Burkinabè et aussi avec les autres communautés ?
Nous sommes plus de 13 000 Burkinabè immatriculés en France, c’est à dire ceux qui ont une preuve de résidence permanente en France et reconnue de nos autorités consulaires. Mais notre nombre en France est estimé à plus du triple de ce chiffre au bas mot, car les Burkinabè vivent cachés quand ils sont loin de leur pays natal et tout le monde connaît cette caractéristique que nous avons. Sinon, nous avons de très bons rapports avec nos confrères d’autres pays que le Burkina Faso. D’ailleurs, la France est le pays qui accueille le plus d’étrangers au monde. Avec les autres diasporas nous avons des structures communes où nous menons des activités d’envergure nationale en France. Nous avons le FORIM (Forum des organisations de solidarité Internationale issues des migrations) qui est un portail où toutes les diasporas sont représentées par des fédérations d’associations. Les Burkinabé de France y sont représentés par Burkinabè de France). Je représente l’UABF au niveau de la Jeunesse de FORIM où nous menons des activités d’intérêt pour les jeunes de la diaspora tous horizons et toutes tendances confondus. Il y’a également d’autres entités « diasporiques » en France ou des organisations burkinabé en France occupent des places de choix. Notamment la DUP (Dynamique Unitaire Panafricaine) …
Avez-vous une idée du nombre des Burkinabè sur le sol français ?
La situation nationale est marquée par un contexte sécuritaire de façon délétère de jour en jour. Nous sommes très pennés de voir ce pays où jadis il faisait bon vivre, tomber dans une telle crise sans précédent qui ronge tout ce qui faisait de ce pays, un pays modèle de la sous- région. Nos devanciers doivent se retourner dans leurs tombes en constatant cette situation, et nous, un grand sentiment d’impuissance nous traverse à chaque épreuve. Nous sommes souvent obligés d’imaginer comment nous pouvons inventer des scénarios pour faire comprendre à quel point nous sommes touchés par ce qui se passe.
D’aucuns disent que l’arme fatale de cette guerre contre le terrorisme est le renseignement. Etes-vous de cet avis ?
Je pense que c’est un tout, car dans cette guerre nous avons plusieurs fronts. Malheureusement nous continuons à nous attaquer aux conséquences et non aux causes. Voici pourquoi une telle gangrène en véhicule par la même occasion un sentiment d’impuissance des gouvernants. De plus nous faisons jusque-là de la défensive jamais d’offensive. Dites-moi à quand remonte une tentative d’attaque terroriste déjouée ? En tout cas à ma connaissance je n’en connais pas. Il faudrait que l’on accepte l’état de guerre et qu’on la traite dans son ensemble comme telle.