Le secteur agricole burkinabè emploie environ 80% de la population et ne représente qu’un tiers de la production économique. Le secteur agroalimentaire, quant à lui, est caractérisé par de petites entreprises à faible productivité qui travaillent avec des techniques quasi-traditionnelles. Elles n’arrivent pas à répondre suffisamment aux besoins alimentaires d’une population toujours croissante, faire face à la rareté des terres productives et aux effets des changements climatiques. La valeur ajoutée par la transformation des aliments reste sous-exploitée : les technologies et techniques utilisées ne sont souvent pas performantes. Les exploitations agricoles fonctionnent en dessous de leurs capacités et ne sont pas mesure de positionner leurs produits sur un marché en expansion, et qui est dominé par les produits importés. Dans la dynamique d’en savoir plus, nous avons rencontré Oumar Tiémoko Cissé, le gérant de la marque Afrik nature et promoteur de la marque Takali. Il nous a exposé un état des lieux du secteur agroalimentaire burkinabè avec ses difficultés et ses perspectives.
Présentez-vous à nos lecteurs
Oumar Tiémoko Cissé : Je suis Oumar Tiémoko Cissé, promoteur de la marque Takali et gérant de la marque Afrik nature. J’ai un BTS en finance comptabilité, un master 2 en gestion des projets et un autre en gestion des ressources humaines. En termes de renforcement de capacités, je détiens plus de 200 attestations de formations. Cela fait déjà une quinzaine d’années que j’évolue dans la valorisation des produits locaux en m’approvisionnant en matières premières grâce aux femmes des milieux ruraux, en les transformant dans les centres semi-urbains et en les commercialisant au niveau national et international.
Quelle différence faites-vous entre les produits locaux et les produits biologiques ?
La différence entre les produits locaux et les produits biologiques réside dans la certification. En effet, beaucoup de promoteurs utilisent abusivement ces termes. Pour qu’un produit soit considéré comme biologique, il doit être certifié par un organisme accrédité. Au Burkina Faso, cet organisme est l’ABNORM. Au niveau international, il existe des entreprises privées telles qu’Ecocert, Flocert, et d’autres qui ont l’accréditation de l’Union européenne, des États-Unis ou du Japon pour certifier les porteurs de projets. Il y a tout un système d’audit qui est mis en place, passant de la production à la distribution, afin de vérifier si les normes et les standards requis sont respectés.
Quel est votre commentaire sur la politique nationale de promotion et de valorisation des produits locaux ?
Il s’agit d’une dynamique positive dans laquelle le gouvernement burkinabè s’est lancé en encourageant la valorisation et la consommation de ces produits. C’est quelque chose de très intéressant, et Thomas Sankara l’a d’ailleurs mentionné il y a une quarantaine d’années : si nous voulons que notre pays soit considéré parmi les grandes nations du monde, nous devons consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons. Cela permettra d’apporter plus de devises dans notre pays, de créer de la richesse et d’atteindre notre souveraineté non seulement sur le plan alimentaire, mais également sur le plan économique. C’est déjà une bonne chose d’inculquer une dynamique qui pousse la population à aimer les produits locaux, car il faut le dire, ce sont des produits de qualité. Et cela n’est plus à transmettre.
Après 15 ans d’expérience dans le secteur agroalimentaire, comment décrivez-vous l’état du secteur agroalimentaire burkinabè ?
Le secteur agroalimentaire burkinabè tarde à se développer. Heureusement ou malheureusement, 97% des produits agroalimentaires burkinabè sont exportés et moins de 3% sont vendus sur le marché national. Cela signifie qu’il y a encore du travail à faire. À l’étranger, les gens reconnaissent la très bonne qualité des produits burkinabè, mais au pays, les gens ne leur accordent pas une grande importance. Peut-être est-ce parce que les produits sont fabriqués au Burkina Faso que les gens supposent qu’ils ne sont pas de qualité. C’est pourquoi j’appelle tous les Burkinabè à faire en sorte que nos produits soient mieux valorisés. Les gens pensent souvent que nos produits sont plus chers que ceux qui viennent d’ailleurs, alors que nous ne connaissons pas la composition de ces produits importés. Nos produits, en revanche, sont biologiques et sans ajout de substances. Il y a ce qu’on appelle l’économie d’échelle. Lorsque la demande est forte, le prix baisse. Donc, si le produit est suffisamment demandé, cela nous permet d’économiser sur plusieurs aspects, notamment les emballages, ce qui peut réduire le prix du produit.
L’approvisionnement en emballages de qualité est un casse-tête pour les acteurs du secteur agroalimentaire. Qu’en est-il chez vous ?
Les entreprises d’emballage au Burkina Faso n’ont pas encore été innovantes pour être à la hauteur de l’évolution du secteur agroalimentaire, tant en termes de normes que de design. Cela nous pousse à nous tourner vers les pays asiatiques où les coûts sont compétitifs. Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est qu’un groupe d’opérateurs économiques puissent investir, avec le soutien de l’État, dans la production des emballages. Ainsi, nos produits seront entièrement burkinabè. Cela augmentera la valeur ajoutée et créera des emplois, profitables à un plus grand nombre de personnes.
Avec les différentes crises que traverse le pays, peut-on dire que le secteur agroalimentaire burkinabè se porte bien ?
Le secteur agroalimentaire burkinabè se porte bien, voire très bien. C’est d’ailleurs un secteur d’avenir. Il suffit simplement que les promoteurs y mettent du sien pour exploiter tout le potentiel que ce secteur peut offrir en termes de valeur ajoutée. Il faut qu’ils deviennent innovants dans tous les domaines, de l’approvisionnement à la production, en passant par l’emballage et la distribution. Il ne faut pas se leurrer, le Burkinabè ne va pas consommer le produit du Burkina Faso par pitié. Il va falloir qu’il y ait un minimum de sérieux dans le travail. J’en appelle donc à tous ceux qui exercent dans le secteur de mettre plus de sérieux pour que le produit puisse être compétitif au même titre que les produits importés. C’est en cela que nous allons convaincre nos populations de s’approprier et de consommer davantage nos produits.
Quel est l’impact de la crise sécuritaire sur le secteur agroalimentaire ?
La crise sécuritaire au Burkina Faso frappe de plein fouet le secteur agroalimentaire et tous les acteurs sans exception. Étant donné que la chaîne d’approvisionnement se fait généralement à partir du monde rural, la quasi-totalité des populations dans certaines zones se sont déplacées. Cela rend l’approvisionnement des unités de production en matières premières extrêmement difficiles. Il est donc essentiel que la paix revienne dans notre pays afin que nous puissions nous approvisionner de manière adéquate et créer davantage d’unités de production pour valoriser nos produits locaux.
Quelle peut être l’implication de votre secteur pour résoudre cette crise ?
Nous sommes convaincus que le chômage est l’un des facteurs propices au recrutement des jeunes par les groupes terroristes. Pour résoudre ce problème, nous avons formé 720 apiculteurs dans les forêts classées afin qu’ils puissent installer des ruches et récolter du miel biologique. Nous créons ainsi des emplois ruraux pour ces jeunes et les occupons avec des activités apicoles modernes. Cette activité ne requiert pas beaucoup de temps et leur permet de générer des revenus stables. C’est ainsi que nous contribuons aux efforts de guerre en créant des emplois et en empêchant les jeunes de se tourner vers des propositions indécentes faites par les terroristes.
Un commentaire sur la 5e rencontre entre le gouvernement et le secteur privé
Cette rencontre est la bienvenue, mais j’aimerais encourager les décideurs à travailler à ce que les produits burkinabè soient compétitifs. Il faut tout d’abord imposer des taxes sur les produits importés qui font concurrence directe aux nôtres. Cela permettra de renflouer les caisses de l’État et de rendre nos entreprises compétitives. De plus, il faudrait que les décideurs puissent imposer la consommation des produits locaux dans les commandes publics à tous les niveaux. Cela favorisera non seulement la création de nouvelles industries agroalimentaires, mais également la stabilité des entreprises existantes.
Quel est votre avis sur le thème central : « Le rôle du foncier dans la promotion de l’investissement productif au Burkina Faso » de la rencontre gouvernement secteur privé ?
C’est un thème d’actualité. La plupart des entreprises agroalimentaires sont situées dans des concessions ou dans des zones où il y a régulièrement des problèmes avec les populations environnantes. Cela décourage les investisseurs et les financeurs. Même pour bénéficier de mesures fiscales favorables, il est difficile d’obtenir les documents nécessaires, notamment les études d’impact environnemental. Il est irrecevable de prétendre à une étude d’impact environnemental pour une usine située dans une zone résidentielle. Il y a de nombreux espaces dans les zones industrielles qui ne sont pas utilisées. Ces zones ont été aménagées il y a plus de vingt ans, mais elles restent inutilisées entre les mains de personnes qui n’ont pas de projets. Cela n’est pas normal.
Pensez-vous donc qu’il y a un désordre dans les questions foncières liées à l’industrie ?
Il y a effectivement beaucoup de désordre. C’est pourquoi, il est du devoir de l’État de réglementer cette situation. De nombreuses personnes spéculent sur les terrains au Burkina Faso, et cela touche également le secteur de l’industrie, ce qui n’est pas normal. Dans un pays déjà frappé par la crise sécuritaire lié au terrorisme, nous devons tout faire pour attirer les investisseurs et leur donner l’espoir d’investir chez nous. Si les investisseurs doivent payer un prix exorbitant pour acquérir un terrain avant même de commencer à investir, cela découragera les gens et l’économie en souffrira.
Avez-vous quelque chose à ajouter pour conclure ?
Je souhaite adresser un appel à la population burkinabè. Il est temps de croire davantage en nous-mêmes, en nos capacités, en nos produits et en nos matières premières. Nous devons demander au gouvernement d’apporter les changements nécessaires pour assurer la souveraineté de notre pays, non seulement sur le plan alimentaire, mais également dans tous les domaines de l’économie. Cela permettra au Burkina Faso de se faire compter parmi les grandes nations du monde.