Au Burkina Faso, le Conseil des ministres du 19 avril 2023 a examiné un projet de loi visant à modifier la loi du 26 juin 2015 portant code minier afin d’introduire des dispositions permettant d’affecter une partie des ressources financières destinées au Fonds minier de développement local pour soutenir le Fonds de soutien patriotique. Dans l’attente de son éventuelle adoption par l’Assemblée législative de Transition, Charles Bourgeois, avocat associé du cabinet Bourgeois Itzkovitch & Delacarte et spécialiste en droit minier, s’entretient avec l’Agence Ecofin sur les enjeux juridiques liés à ce projet.
Comment pensez-vous que vont réagir les sociétés minières en cas d’adoption par l’Assemblée législative de Transition de ce projet de loi mettant à contribution le secteur minier pour soutenir le Fonds de soutien patriotique et la lutte antiterroriste au Burkina ?
Charles Bourgeois : Mal. Et ils auront raison de se plaindre, car l’industrie minière n’a pas vocation à être directement impliquée dans la lutte armée d’un pays contre des mouvements terroristes. Elle finance déjà des écoles, des centres de santé et des infrastructures civiles comme des routes ou des réseaux d’électricité. Les investisseurs miniers n’ont pas vocation à remplacer les fonctions régaliennes d’un Etat souverain, au Burkina ni dans aucun autre pays du monde !
Il faut se rappeler que la plupart des sociétés minières internationales installées au Burkina opèrent selon des normes environnementales et sociales définissant un cadre très strict pour mener leurs activités dans des régions en conflit (citons par exemple le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque) et que le financement de la lutte antiterroriste au Burkina par le biais d’un prélèvement sur le Fonds minier de développement local va être un véritable casse-tête pour tous les responsables « éthique & conformité » de ces sociétés et des banques et institutions qui les finance.
Doit-on considérer en effet que l’affectation d’une partie des ressources financières destinées au Fonds minier de développement local pour soutenir le Fonds de soutien patriotique viole les engagements internationaux des sociétés minières concernant l’extraction de minerais provenant de zone de conflit ?
CB : Le financement par le Fonds de soutien patriotique des Volontaires de Défense pour la Patrie (VDP), milice destinée à soutenir l’armée régulière burkinabé, va poser dans ce sens d’immenses questions aux sociétés minières et à leurs partenaires financiers en cas d’adoption de ce projet de loi par l’Assemblée législative de Transition…
Quels sont plus précisément les risques juridiques de cette réforme pour les sociétés minières internationales opérants au Burkina Faso ?
CB : Être rendus complices de crimes de guerre, voire même de crimes contre l’humanité… La récente demande du Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, que soit menée une enquête « impartiale » après le massacre de 28 personnes à Nouna, chef-lieu de la province de la Kossi (nord-ouest), dans la nuit du 30 au 31 décembre 2022, et attribué selon certains médias aux Volontaires de Défense pour la Patrie, montre à quel point ce sujet est brulant dans un contexte d’augmentation des violences entre communautés. Mais ce n’est pas tout.
Quid de l’hypothèse où les rumeurs sur la présence du groupe Wagner dans le pays se révèleraient exactes et que tout ou partie des sommes récoltées par le Fonds de soutien patriotique soient en fait directement versées à Wagner pour financer son aide dans la lutte contre les mouvements terroristes ?
Dans ce cas, les opérateurs miniers pourraient être accusés de financer une organisation sous sanctions américaines et européennes et considérée par certains pays comme terroriste. On est bien loin de l’aide au développement local initialement prévue par le Code minier de 2015 sur recommandation de l’Union africaine…
Les opérateurs miniers et leurs partenaires financiers installés au Burkina doivent impérativement prendre la mesure du problème et définir immédiatement une stratégie juridique, voire judiciaire, en cas d’adoption de ce texte par l’Assemblée législative de Transition conformément à leur devoir de diligence raisonnable en matière de conflits et de droits de l’homme.
Compte tenu par ailleurs de la place grandissante des critères ESG en matière de financement du secteur minier et de la pratique du « name & shame » potentiellement dévastateur pour la valorisation d’une société, l’enjeu est donc immense pour les sociétés minières installées au Burkina.
Les opérateurs miniers ont-ils la possibilité de s’opposer au paiement de cette contribution au Fonds minier de développement local ? Que conseilleriez-vous aux opérateurs miniers en cas d’adoption par l’Assemblée législative de transition de ce projet de loi ?
Il semble qu’un certain nombre d’opérateurs miniers disposant d’une convention minière établie avant l’entrée en vigueur du code minier 2015 se sont opposés à toute contribution au Fonds minier de développement local en invoquant les clauses de « stabilisation fiscale » desdites conventions.
D’autres auraient accepté de contribuer « volontairement » à cette contribution au Fonds minier de développement local sous réserve de la prise en compte de leurs investissements réalisés au profit des populations dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) en déduction du montant devant être versé à ce fonds.
Sans revenir sur la légalité de ces oppositions, ces derniers ont un argument tout trouvé pour continuer à financer volontairement leurs propres programmes de RSE au lieu et place du Fonds minier de développement local.
Pour les autres, c’est-à-dire pour les sociétés minières ayant obtenu leurs permis d’exploitation après l’adoption du code minier 2015, plusieurs actions pourraient être envisagées en cas d’adoption de ce projet de loi, dont peut être une action devant les juridictions compétentes afin de placer sous séquestre judiciaire les sommes devant être reversées au Fonds minier de développement local dans l’attente d’une décision de justice rendue sur la légalité de cette réforme.
Quelles sont les actions judiciaires qui pourraient être engagées à l’encontre des opérateurs miniers contribuant au Fonds de soutien patriotique ?
Tout dépend des juridictions saisies. En ce qui concerne les juridictions françaises, la récente jurisprudence Lafarge en Syrie montre que le Parquet national antiterroriste français pourrait ouvrir une enquête sur des allégations de complicité et de responsabilité pénale potentielle de sociétés minières en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en vertu du Code pénal français.
L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du trésor américain pourrait aussi par exemple décider de diligenter une enquête dans l’hypothèse où tout ou partie des sommes récoltées par le Fonds de soutien patriotique soient en fait directement versés au groupe Wagner.
En tout état de cause, le récent rapport d’Amnesty International faisant état de la responsabilité de l’armée régulière dans le massacre, le 20 avril dernier, d’au moins 147 personnes dans le village de Karma dans le nord du pays, montre que la situation est en train de dégénérer et que l’ensemble des opérateurs miniers et de leurs partenaires financiers vont devoir définir rapidement une stratégie en cas d’adoption du projet de réforme du code minier 2015 par l’Assemblée législative de Transition.
Que répondriez-vous à quelqu’un qui pense qu’on peut lier « financement du développement des populations » à « sécurité desdites populations » ?
La légitimité d’une telle réforme appartient à l’Etat et au peuple burkinabé qui est souverain pour définir le cadre juridique lui permettant de financer la lutte antiterroriste dans le pays.
Il est toutefois important de rappeler que la question de la mise à contribution du Fonds de développement minier à la lutte antiterroriste est posée dans un contexte de baisse de la production d’or dans le pays, liée notamment à de graves problèmes d’insécurité.
La baisse des revenus miniers de l’Etat le force à trouver des solutions alternatives pour financer la sécurisation du pays et la lutte contre les groupes terroristes, mais il n’est pas certain que l’aide au développement doive être utilisée pour financer la lutte armée.
La question de la sécurité au Burkina touche aussi bien les populations que les compagnies minières elles-mêmes. De nombreuses attaques meurtrières ont été perpétrées ces derniers temps contre d’importants sites d’exploitation aurifère, en l’occurrence les mines Karma, Boungou ou encore Essakane. Si vous estimez que le modus operandi de l’Etat avec cette réforme n’est pas bon ni judicieux, que pensez-vous qu’il puisse faire et comment les compagnies peuvent-elles aider aux questions sécuritaires ?
C’est une question difficile, mais que vous avez tout à fait raison de la poser. Si l’Etat ne peut garantir la sécurité de sites miniers contre des groupes armés, il me semble que ce dernier n’a pas d’autre choix que de recommander aux opérateurs de procéder à la fermeture temporaire des sites concernés.
L’Etat doit avoir le monopole de la force et l’utilisation de milices civiles, voire de mercenaires étrangers, pour sécuriser des sites miniers dans des pays fragiles engendre très souvent des cycles de violences qui ne mettront pas un terme aux problèmes sécuritaires dans le pays.
Les sociétés minières ont un devoir de vigilance et de diligence dans leurs opérations, non de soutien à toute violence – même légitime – dans un pays en guerre. Dans certains cas, elles ont la possibilité d’invoquer la force majeure pour suspendre leurs opérations et doivent à tout prix s’interdire de participer directement à l’effort de guerre afin d’éviter d’être accusées, à tort ou à raison, d’exploiter des « minerais de conflit ».
source : Agence Ecofin