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23 novembre 2024

Insécurité au Burkina Faso : « L’ampleur du terrorisme et de l’orpaillage ont donné une dimension importante à la fraude », Blaise Nebié, SG du SYNATRAD

Le Burkina Faso est en proie à une crise sécuritaire depuis plus de 7 ans. Une situation qui va occasionner le déplacement d’environ 2 millions de Burkinabè et la fermeture de plusieurs structures étatiques surtout dans les zones touchées. Elle va ainsi ouvrir la voie à une forme de contrebande de tout genre dans le pays. Dans la dynamique de cerner les enjeux de cette crise au niveau de l’administration douanière burkinabè, nous avons rencontré le secrétaire général du Syndicat national des Travailleurs de l’administration des Douanes (SYNATRAD), Blaise Nebié. Inspecteur principal des douanes, Blaise Nebié est enseignant vacataire à l’école des douanes, Chef Adjoint du Bureau de Suivi du Transit et expert accrédité pour le compte de L’Organisation Mondiale de la Douane (OMD). En début d’année 2023, il est nommé comme chef de la Brigade mobile de Ouagadougou. Avec lui, il était question du rôle de la douane dans la lutte contre le terrorisme, du dernier congrès du SYNATRAD mais aussi de la problématique de la collecte des fonds dans une situation de crise sécuritaire.

 Le Quotidien : Pouvez-vous nous présenter le Syndicat national des Travailleurs de l’administration des Douanes (SYNATRAD)

 Blaise Nebié : Le syndicat des douanes est un vieux syndicat, qui a été créé dans les années 60. Le syndicat a participé aux évènements historiques majeurs de notre pays et a subi sa propre mutation  pour devenir le Syndicat National des Travailleurs de l’Administration des Douanes (SYNATRAD).

En Janvier 2023, le syndicat a tenu son huitième congrès ordinaire. Que faut-il retenir de ce congrès ?

Il faut retenir que ce congrès s’est tenu dans un contexte sécuritaire difficile car depuis l’avènement de la crise sécuritaire, des postes de douanes ont été fermés et beaucoup de nos camarades ont perdu la vie suite aux attaques terroristes. Il était donc de bon ton que le 8e congrès soit placé sous le thème de la contribution du SYNATRAD dans la lutte contre le terrorisme. Des résolutions ont été prises et la plate-forme revendicative a été actualisée. La douane est impliquée à plusieurs niveaux dans cette lutte contre le terrorisme. Déjà en tant que corps habillés, nous sommes engagés au front et en tant que structure chargée de la mobilisation des recettes, nous dévons tout faire pour mobiliser assez de ressources pour permettre à l’État de faire face à la situation. C’est l’occasion pour moi de saluer l’implication et l’engagement de nos camarades qui nous ont permis d’obtenir des résultats satisfaisants dans la mobilisation des recettes en 2022, et je profite les inviter à redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs de 2023.  Nous avons aussi, au cours de ce congrès, envisagé des souscriptions volontaires des militants pour contribuer à l’effort de guerre.

« Le terrorisme a ouvert des couloirs

aux fraudeurs »

Au cours de ce congrès justement vous avez été porté à la tête du syndicat. Sous quel sceau avez-vous placé votre mandat?

Ce deuxième mandat, je l’ai placé sous sceau de l’unité et la cohésion entre tous les militants au sein de l’administration des douanes.

Comment avez-vous accueilli la nomination de l’ancien SG au poste de DG des Douanes?

D’emblée, au niveau syndical, nous avons accueilli cela comme une considération portée à tous le mouvement syndical, et qui vient battre en brèche ceux qui pensent que le syndicaliste ne sait rien faire d’autre que du syndicalisme Nous lui souhaitons un plein succès parce que s’il réussit, le syndicat se sentira honoré et s’il échoue c’est aussi tout naturel que nous en porterons les conséquences. Il faut dire que contrairement à une certaine pensée, le syndicaliste est quelqu’un qui est techniquement apte et compétent. Le syndicat des douanes est constamment dans la réflexion pour aider l’autorité à mieux orienter ses actions. Nous nous inscrivons donc dans la pro-action. Nous ne sommes pas permanemment en conflit avec nos supérieurs. Pour l’histoire, il faut savoir que le premier DG noir des douanes du Burkina  fut le premier SG du syndicat des douanes voltaïques. Ce n’est donc pas une première qu’un du syndicat soit DG des douanes. Cela témoigne donc du niveau d’implication et de sérieux du syndicat.

Quelle sont vos relations avec la hiérarchie

Il faut dire que nous avons de très bonnes relations. Étant donné que le DG actuel a déjà dirigé le syndicat pendant 6 ans, il connait la pensée et l’idéologie du groupe. Ce qui fait que nous sommes dans une bonne dynamique de communication avec la hiérarchie pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Peut-on dire que vous avez toujours une plateforme revendicative ?

Un syndicat sans plateforme revendicative n’est plus un syndicat, puisqu’il y a toujours des préoccupations. Nous avons une plateforme qui a été revue au dernier congrès de janvier 2023, et nous allons rencontrer la direction générale des douanes pour lui présenter notre plateforme revendicative, et  dégager ensemble  des échéances de mise en œuvre  de certains points.

« L’ampleur du terrorisme et de l’orpaillage ont donné  une dimension importante à la fraude »

Quels sont les grands axes de cette plateforme ?

On a d’abord les préoccupations liées au fonctionnement et à l’exécution du service. Ensuite nous avons des préoccupations liées aux infrastructures et au matériel. Le dernier point c’est la motivation. Naturellement, il faut motiver les travailleurs. Il y a certains qui sont à Ouagadougou, mais il faut aussi savoir qu’il y en a qui sont toujours dans les zones rouges à fort défi sécuritaire, pour servir le pays. Les motivations ne sont pas forcément financières, il  y a aussi la reconnaissance de l’autorité publique.

Peut-on penser qu’avec ce nouveau DG les lignes bouges ?

Le DG n’a pas le choix. Les lignes doivent bouger, parce que les syndicats revendiquent toujours la bonne gouvernance, la transparence dans la gestion de la chose publique. Le DG connait donc toutes les attentes du SYNATRAD et nous pensons que ce sont des éléments qui sont importants pour la survie de notre administration et pour l’efficacité de notre organisation syndicale.

Quel est l’impact du terrorisme dans l’activité douanière ?

La douane est beaucoup impactée par la crise sécuritaire. Elle occupe un maillage important sur l’étendue du territoire. Il y avait des postes de douane opérationnels à toutes les frontières mais depuis un moment, avec l’avènement du terrorisme, nous avons des postes qui ont été fermés. Il y a des services de surveillance que nous ne pouvons plus faire parce qu’il est difficile de rentrer dans la brousse pour pouvoir chasser les fraudeurs. Ce qui nous empêche d’atteindre les objectifs en matière de lutte contre la contrebande.

Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre le terrorisme?

Pour lutter contre le terrorisme, il n’y a pas de solutions miracles, parce qu’il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte. Moi, je suis inspecteur des douanes et je ne connais que ce qui se passe en douane. Mais nous pensons que le terrorisme ne peut être vaincu que par nous-mêmes. Ce n’est pas une guerre qu’on pourra gagner par procuration.

Quelle est votre analyse sur la probable fédération du Mali et du Burkina

Je ne sais pas si le timing est bon pour une fédération, mais nous ne sommes pas en temps de paix pour envisager une fédération. Il est important que les deux pays travaillent sur le mal commun qu’est le terrorisme, car la fédération envisage plusieurs aspects. Pour nous, il est d’abord primordial de penser à une coopération militaire pour vaincre le terrorisme. Ensuite, on pourrait se pencher à tête reposée sur une quelconque fédération des deux Etats.

« Pour inciter les autres à travailler encore plus, on gagnerait à classer les administrations les plus performantes, les plus intègres »

Au cas où il y a fédération, quelle sera l’implication de la douane ?

La douane serait naturellement impliquée dans la facilitation du libre-échange entre les deux pays.

Longtemps pointée du doigt comme étant une institution fortement corrompue, qu’est-ce qui est envisagé à votre niveau pour relever les défis de l’intégrité dans l’administration douanière?

 Les défis en matière de corruption sont bien connus au sein de l’administration des douanes, et c’est pourquoi le Burkina Faso a adhéré  au programme Anti-corruption et promotion de l’intégrité (ACPI) qui est un projet lancé par  l’Organisation mondiale des douanes (OMD) pour lutter contre la corruption et promouvoir l’intégrité. Au niveau syndical, nous pensons que si l’administration des douanes est débarrassée de toutes les tares, c’est le syndicat qui sort gagnant. A  cet effet, le syndicat organise toujours des instances pour sensibiliser les uns et les autres sur la corruption.

En 2022, le RENLAC a classé la douane comme étant la deuxième structure la plus corrompue. Malgré cela, nous avons assisté à une hausse des recettes de la Douane avec un excédent d’environ 22%. Comment expliquez-vous cela ?

Il faut dire à ce niveau, que nous n’avons jamais été d’accord avec le RENLAC sur les critères qui prévalent au classement, parce que nous avons toujours dit que les administrations publiques ont toujours besoin d’assistance et d’accompagnement et il faudrait promouvoir les bonnes valeurs dans le classement. La corruption qui sévit actuellement a un fait générateur ailleurs qui n’est pas forcement imputable aux fonctionnaires. C’est pourquoi quand les conditions sont réunies, vous voyez que les fonctionnaires qui sont accusés à tort ou à raison, donnent le meilleur d’eux-mêmes pour de meilleurs résultats. Nous avons donc pensé qu’au lieu de classer l’administration la plus corrompue, on gagnerait à classer les administrations les plus performantes, les plus intègres pour inciter les autres à travailler encore plus.

Votre commentaire sur l’affaire de menace des contrôleurs de l’ASCE-LC

Depuis un certain, l’administration des douanes est dans l’œil attentif de l’Autorité Supérieure de Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC). Toute cette attention, nous pensons que c’est pour nous amener à être plus performants et nous apprécions cela à sa juste valeur. Mais, il faut dire que souvent, les interventions de l’ASCE-LC sont diversement appréciées. En tant que syndicaliste, certains pensent qu’il y a un acharnement contre la douane.  Mais nous ne pensons pas que c’est le cas. Elle fait juste son travail. C’est pourquoi, je déplore les menaces de mort proférées contre des agents de l’ASCE-LC. Cela nous ramène à la triste réalité que vivent quotidiennement les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, et la douane n’est pas en reste.

Et pourtant, lors d’une conférence de presse, le RENLAC a noté que les faits sont reconnus 

Si le Réseau national de lutte anti-corruption (RENLAC) le dit c’est que c’est forcément vrai. Mais au niveau du SYNATRAD, nous avons confiance que nos militants ne s’inscrivent pas dans cette dynamique.

« La corruption qui sévit actuellement a un fait générateur ailleurs qui n’est pas forcement imputable aux fonctionnaires »

On entend dire que  la douane est la vache laitière des autorités politiques. Que répondez-vous à cela ?

C’est une renommée défavorable qui nous colle à la peau et qui montre à souhait que la douane a toujours été prise en otage. En 2018 par exemple, nous avons rompu le contrat avec COTECNA, à l’époque, les gens ont cru que la douane est tellement corrompue qu’elle ne pourra pas tenir le pari de la mobilisation. Mais nous avons fait une mobilisation extraordinaire. Le président du Faso d’alors au lieu de nous féliciter a adressé une lettre au ministre en charge des Finances pour lui signifier que la douane fatigue les importateurs.  Le syndicat s’est senti offusqué parce que c’était le moment de nous féliciter pour le travail bien fait, mais hélas.

Votre institution vient de mettre au grand jour des quantités importantes d’explosifs et de produits pharmaceutiques prohibés saisie au cours des investigations suite à l’incident du marché Sankar Yarré. La question que l’on se pose, c’est comment est-ce qu’une telle quantité a pu se retrouver dans un seul marché de la ville de Ouagadougou ?

Naturellement tout le monde se pose cette question. Même quand le pays était en sécurité la fraude rentrait. Le terrorisme a ouvert beaucoup de couloirs pour la fraude et tous les moyens sont bons pour faire rentrer de la marchandise par la fraude. La douane ne fait pas un périmètre infranchissable. Cela fait que les fraudeurs étudient les failles des dispositifs douaniers pour faire rentrer leurs marchandises. Donc ce n’est pas forcement quelque chose qu’on pourrait reprocher à la douane.

Quelle est donc l’ampleur de cette fraude-là ?

Avec le terrorisme, la fraude a pris de l’ampleur parce qu’il y a  des zones de notre territoire qui sont soustraites de la surveillance douanière et ce sont des couloirs libres. Comme on le dit souvent, l’orpaillage est venu donner une certaine envie de faire la fraude à travers le ravitaillement en produits destinés à cette activité. L’ampleur du terrorisme et de l’orpaillage ont donné une dimension importante à la fraude.

Y-a-t-il un rapport entre la fraude et le terrorisme ?

Il peut y avoir en partie un rapport. Mais le phénomène de la fraude est guidé par l’appât du gain facile. Comme avant la crise, la douane était déployée sur tout le territoire, les effets de la fraude étaient donc limités.  Maintenant avec la situation, les déplacements de la douane sont limités dans certaines zones. Ces zones deviennent des couloirs pour les fraudeurs. On peut dire que le terrorisme a ouvert des couloirs aux fraudeurs. Il y a beaucoup de produits qui sont objets de contrebande parce qu’ils sont liés à l’orpaillage tout comme certains produits destinés aux activités de l’orpaillage servent aussi aux activités terroristes.

La fraude persiste. Les sanctions sont-elles vraiment dissuasives ?

 Les sanctions ne peuvent pas mettre fin au phénomène de la fraude. La solution c’est la sensibilisation au civisme fiscal. Le code des douanes prévoit des sanctions. Elles sont très dissuasives mais le phénomène a la peau dure. Vu que c’est difficile de maitriser ce phénomène, ce qui peut aussi nous aider c’est une très bonne collaboration avec l’institution judiciaire pour une répression complète des infractions douanières.

N’y-a-t-il pas autres solutions ?

A part la sensibilisation, une autre solution est la collaboration inter-service entre les  forces de sécurité intérieure et de la Justice. Il faut que la douane, la police, la gendarmerie, les eaux et forêts et le parquet se donnent la main pour venir à bout de ce phénomène. A ce moment, on aura une synergie d’actions qui va resserrer l’étau autour des contrebandiers.

Les Burkinabè semblent être réfractaires au payement des impôts. Est-ce le même constat au niveau de l’administration des douanes ?

Bien sûr ! C’est déjà l’une des principales causes pour ceux qui fraudent. Ils ne veulent pas payer les taxes. L’autre cause consiste à se soustraire de l’application de la loi quant aux documents à fournir pour une importation ou exportation régulière.

Entant que secrétaire général du SYNATRAD, vous avez été nommé au poste de Chef de Brigade Mobile de Ouagadougou. Est-ce que c’est mérité ou bien c’est une récompense de votre ancien SG devenu DG des Douanes aujourd’hui?

Je voudrais d’abord remercier Monsieur le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Prospective et Monsieur le Directeur Général des Douanes pour la confiance placée en ma personne. Pour répondre à votre question, je rappelle que je suis inspecteur des douanes depuis 13 ans et j’ai été admis au concours avec une maîtrise en droit. Je suis enseignant vacataire à l’école des douanes en Régimes Particuliers et en Contentieux douanier répressif depuis 2017. Je suis aussi accrédité comme expert international de l’Organisation mondiale des douanes en matière de lutte contre la fraude CITES et à ce titre, j’effectue des missions à l’international au profit des administrations douanières des pays membres. Je suis aussi titulaire d’un Master 2 en Fiscalité Appliquée. Vous jugerez vous-même si c’est une récompense ou un mérite.

Avez-vous quelque chose à ajouter pour clore cet entretien ?

 Je voudrais remercier votre journal pour l’opportunité qu’il m’a offerte de m’exprimer sur l’actualité en douane. A l’adresse de l’opinion publique, l’administration des douanes fait de son mieux pour répondre aux attentes fixées par les plus hautes autorités à savoir la mobilisation des recettes, la sécurisation des importations et des exportations et à travers la lutte contre les contrebandes de tous genres et une participation active dans la lutte contre l’insécurité. A ce titre, il est important qu’un appel soit fait à l’endroit des citoyens pour qu’ils prêtent main forte à l’administration douanière à travers une collaboration poussée pour permettre à la douane de bien faire son travail pour atteindre les objectifs qui sont fixés. Au niveau syndical, nous veillons à ce qu’il y ait beaucoup plus d’intégrité. Nous nous sommes engagés à soutenir l’administration des douanes dans la lutte contre la corruption et dans des actions qui redorent l’image de la douane.

Le Quotidien

1 : Blaise Nébié, secrétaire général du Syndicat national des Travailleurs de l’administration des Douanes (SYNATRAD)

By Ib_Z

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