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3 novembre 2024

Youssef Chebbi, Étalon d’or du Fespaco 2023: «Je trouve honteux ce qui passe en Tunisie et cela me fait mal au cœur. Ça m’indigne et me révolte»

L’Étalon d’or Yennenga, la récompense suprême du Fespaco, a été décerné samedi 4 mars 2023 au jeune réalisateur tunisien Youssef Chebbi pour son film Ashkal. Une œuvre appréciée par le jury de la 28e édition du plus grand festival de cinéma africain, comme par les critiques français lors de sa sortie en salle fin janvier dernier. Entretien.

Récompensé de l’Étalon d’or de Yennenga à la 28e édition du Fespaco, Youssef Chebbi signe avec Ashkal un film mystérieux et métaphorique dans la Tunisie d’aujourd’hui. Il raconte l’enquête menée par deux policiers après la découverte d’un corps calciné dans un des bâtiments des Jardins de Carthage, un quartier de Tunis créé par l’ancien régime, mais dont la construction a été brutalement stoppée au début de la révolution. Ce polar poétique fait le constat des dérives après le soulèvement de 2011.

Le sacre de Youssef Chebbi au Burkina Faso coïncide avec la flambée de violences en Tunisie contre des migrants subsahariens, suite au discours du président Kaïs Saïed le 21 février appelant à des mesures urgentes face à l’immigration clandestine. Stigmatisés, des centaines de ces ressortissants ont déjà été rapatriés dans leurs pays d’origine.

RFI : Étiez-vous surpris de recevoir l’Étalon d’or ?

Youssef Chebbi : J’étais un peu surpris, mais c’est une immense joie et un grand honneur de recevoir l’Étalon d’or. Je trouve que c’est une belle leçon, une main tendue vers l’autre, quel qu’il soit. C’est aussi l’expression d’un éveil à une tolérance et l’envie d’aller vers de meilleurs horizons. C’est forcément hautement symbolique. 

Ashkal est un film qui « sort de l’ordinaire » a précisé le jury lors de la cérémonie de remise de prix samedi. Qu’est-ce qui a séduit le jury dans votre film ?

Je peux juste vous dire ce qu’on a essayé de faire avec ce film. Nous avons bien sûr essayé de parler des choses qui existent, mais surtout de les traiter de manière différente. D’aller vers la fiction, vers l’imagination, et d’explorer ce qui de toute manière nous fait bondir sur ce qui existe aussi dans le réel. Je n’ai jamais imaginé faire un film politique, c’est un film qui emprunte des choses au réel tunisien, et qui essaie de regarder ce réel d’un autre point de vue. D’embrasser l’imaginaire et le fictionnel aussi, ce qui est un peu de l’ordre de la légende et du récit national dans cette révolution, et dans ce qu’elle crée comme motif.

Pour moi, l’image de l’immolation colle à la société tunisienne jusqu’à ses formes les plus récentes. C’est une image hautement iconique qui imprègne la société tunisienne, et qui nous dit beaucoup sur la mémoire de cette société. Il y a quelques années encore, on disait que les personnes qui s’immolaient étaient des martyrs. Aujourd’hui, on les considère comme des trouble-fête de la fameuse transition démocratique. Cela nous montre l’oubli, qui est le pire ennemi, et cela nous montre ensuite un signe de dérive sécuritaire évidente.

Comment vivez-vous ce qui se passe en Tunisie face aux immigrés ?

Je ne veux pas faire un discours politique, parce que je pense qu’on fait des films pour éviter de faire de la politique et des discours. Mais personnellement, je trouve ça honteux et cela me fait mal au cœur. Ça m’indigne et me révolte. Je sens la rage et la colère contre ce discours. C’est infernal de savoir que cela se passe en Tunisie. J’y étais il y a deux jours, quand des personnes commençaient à partir. Mais il y a aussi beaucoup d’associations, des jeunes, des amis qui œuvrent pour soutenir les immigrés et leur faire comprendre que le discours du pouvoir n’est pas celui de toute la société tunisienne.

Il est important de ne pas se flageller et d’utiliser ce problème pour permettre aux choses d’évoluer. Je pense que ce discours contre les immigrés n’est porté que par une minorité de l’opinion. Mais en même temps, je crois aussi que quelque part, ce sujet est essentiellement utilisé pour détourner l’attention de problèmes beaucoup plus importants liés au retour du sécuritaire et aux arrestations d’opposants. Il y a énormément de choses qui se mettent en place autour de ce débat qui est, encore une fois, détourné. La Tunisie, c’est aussi une population de jeunes, et la jeunesse qui ne se laissera pas instrumentaliser et ne se laissera pas avoir dans ce débat détourné.

Mais comment expliquez-vous la multiplication soudaine d’actes racistes ?

Je pense que la problématique du racisme en Tunisie existait bien avant cette charge raciste du président. Mais à mon avis, le sens même de ce qui s’est passé n’est pas conscientisé par une bonne partie de la population. Ce qui est important, c’est que cette situation éclate au grand jour, qu’on en prenne conscience pour pouvoir y remédier.

Je pense aussi que ce sont les conséquences d’un pays qui n’a jamais vraiment eu une sorte de conscience politique, ou alors que très récemment. On est dans un monde où les populations bougent ; cela continuera quoi qu’il arrive. Mieux vaut se saisir du problème plutôt que de simplement le condamner. Or ce président n’a pas de projet politique. Il a un discours populiste. Et ce discours permet aussi de détourner l’attention de cette incompétence profonde. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Ce sont les méthodes utilisées par l’extrême droite en France, en Italie ou ailleurs.

Source: RFI

By Ib_Z

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