Au carrefour d’un triple contexte de défis au plan sécuritaire, sanitaire et humanitaire, le Burkina Faso sera forcé de faire face à une autre crise, celle de la guerre russo-ukrainienne. Ce mélange de crises aura pour corollaire la flambée des prix des produits de grande consommation. C’est dans cette foulée que verra le jour le Syndicat National des Commerçants et Transporteurs contre l’implantation de la Vie chère au Burkina Faso (SYNACTIV-BF). « Lutter contre la vie chère ». C’est le credo du syndicat regroupant différentes structures œuvrant dans le domaine des transports et du commerce de marchandises. Le SYNACTIV-BF compte « environs 5000 membres » à travers le Burkina Faso et est implanté dans les 13 régions du Burkina. Dans la dynamique de décortiquer l’actualité nationale surtout dans le domaine du commerce et du transport, nous avons rencontré le vice-président de Synactiv-BF, El Hadj Oumarou Ouédraogo. Dans cet entretien le Synactiv-BF à travers son vice-président a affiché la disponibilité de son syndicat à accompagner les autorités pour venir à bout de la crise terroriste.
Le Quotidien : Lors de la rencontre entre le président du Faso et les OCS, le capitaine Traoré a laissé entendre des propos qui ont indigné plus d’une personne au sein de l’opinion nationale. En effet, il est ressorti au cours de cette rencontre notamment que des transporteurs qui auraient refusé de diminuer les frais de location de leurs camions pour le transport de vivres afin de secourir des populations en zones de crise. Comment avez-vous accueilli cela ?
El Hadj Oumarou Ouédraogo : En effet, c’est par voie de presse que nous avons aussi appris que pour secourir des populations en zone de crise, les autorités ont sollicité des camions auprès des transporteurs qui n’ont pas voulu être clément sur les prix. Nous avons aussi appris par ces mêmes voies que c’est parce que les conditions n’étaient pas favorables voilà pourquoi les transporteurs n’ont pas accepté passer leurs camions. Nous, en tant que SYNACTIV-BF, nous sommes un syndicat reconnu par les lois de l’Etat dans le domaine du transport. Nous aurions voulu que les autorités fassent cette demande auprès des organisations des transporteurs. Ils auraient pu nous adresser directement une demande, quitte à nous de nous organiser pour satisfaire la demande. Puisque c’est une question de sursaut patriotique. Nous en tant qu’organisation de transporteur, nous n’avons été associé ni de loin de ni de prêt. Nous sommes aussi des Burkinabè et nous sommes au courant de ce qui se passe dans le pays. Donc nous ne pouvons pas nous mettre en marge de cela. Je peux vous rassurer que dans ce pays, en termes de transport, notre syndicat regroupe le plus grand nombre de transporteurs routiers de marchandises au Burkina Faso. Nous ne pouvions pas savoir que des sollicitations de ce genre peuvent être faites dans ce pays sans que nous ne soyons saisies, pour être informés par voie de presse après. C’est vraiment déplorable.
Le vin est désormais tiré, il faudrait donc le boire. Que dites-vous maintenant pour la défense des transporteurs ?
Vous savez, lorsque qu’un malade vient vous voir pour vous expliquer le mal qui le fait souffrir, c’est sûr que vous allez l’aider à trouver des solutions. Mais si tu n’as pas été informé, comment pourrais-tu deviner cela ? A moins que tu ne sois dans le secret des Dieux, sinon, ce n’est pas évident. Le gouvernement sait très bien qu’il a livré des récépissés aux transporteurs. La situation dans laquelle nous sommes, s’il y a des besoins dans le domaine du transport, il aurait été judicieux de penser aux organisations des transporteurs pour gérer cela en fonction des conditions qu’ils auraient préétablies pour pallier la situation. Quitte à nous de nous organiser au nom de la Nation et de voir combien de camion nous pouvons mobiliser pour faire face aux besoins. Mais en tant qu’organisation, personne ne nous a fait signe par rapport à cela et c’est par voie de presse que nous l’avons appris alors que nous avons même une faitière qui est la FUTURB.
« Nous estimons que la lutte contre le terrorisme
constitue aujourd’hui la première des urgences »
De manière banale on aime dire que « la bouillie est versée donc difficile de la ramasser ». Que comptiez-vous faire pour pallier cela ?
Nous en tant que syndicat, au regard de la situation du pays, nous informons les autorités que nous sommes prêts à disponibiliser dans les limites du possible des camions pour aider les autorités à pouvoir faire face à la situation. Nous sommes prêts à tout moment si le pays nous appelle. Mais si nous n’avons pas été appelés ou associés en tant qu’organisation, même si nous sommes animés de bonne volonté pour accompagner, il va falloir agir avec beaucoup de tact ou d’attention.
Ces camions que vous dîtes être prêts à donner, allez-vous le faire gratuitement ou moyennant quelque chose ?
Nous supposons que même pour cela, il y aura des conditions d’accompagnement pour au moins sécuriser ces camions. Nous sommes donc prêts à les accompagner si nous sommes sûrs que cela va aller aux populations en détresse.
Combien de camion êtes-vous prêt à disponibiliser?
Au sein de notre syndicat, tous les membres, militants et sympathisants ont des camions. Et si individuellement chacun doit donner au moins un, je vous assure que c’est énorme. Si le gouvernement peut nous donner une idée de la quantité de produits à transporter, sur la base de cela, nous pouvons dire combien de camions nous allons disponibiliser pour accompagner l’opération.
« La situation dans laquelle nous sommes, s’il y a des besoins dans le domaine du transport, il aurait été judicieux de penser aux organisations des transporteurs pour gérer cela en fonction des conditions qu’il aurait préétablit »
Dites-nous si votre syndicat participe ou a déjà participé à l’effort de guerre dans la lutte contre le terrorisme ?
Nous soutenons à tout moment nos frères burkinabè qui sont dans des situations difficiles. Comme exemple je peux vous citer Yirgou, Kaya où nous y intervenons tout le temps. Même à Ouagadougou nous avons fait des dons aux déplacés. Nous faisons ce que nous pouvons pour venir en aide aux personnes touchées par cette crise sécuritaire. Ce sont des actions sur lesquelles il n’est pas de notre avis intéressant de trop communiquer là-dessus.
Comment avez-vous accueilli le coup d’Etat du 30 septembre 2022 ?
Si nous disons que nous l’avons accueilli, de manière banale c’est comme si nous l’attendions. Non ! Nous n’attendions pas cela. Nous, en tant que syndicat, nous sommes prêts à accompagner toute autorité qui est prête à sortir le Burkina Faso de la situation dans laquelle, il est.
Deux coup d’Etat en une année, dites-nous comment se porte votre secteur ?
Nous pouvons dire sans nous tromper que cela à beaucoup bouleversé la conduite de nos activités. Mais la situation est là et nous sommes obligés de faire avec.
Quel a été l’impact de cette crise sur vos activités vous, qui êtes des transporteurs transfrontaliers ?
Nous sommes des transporteurs et aussi des commerçants transfrontaliers. Au Burkina Faso, nous n’avons pas de port alors que la plupart de nos marchandises aujourd’hui sont convoyés par bateaux. Situation oblige, ces bateaux squattent les ports des pays voisins. Nous sommes donc obligés d’affréter nos camions et souvent même des camions des pays portuaires. Lorsque nous sommes dans les situations d’instabilité liée entre autres, aux crises politico-militaires, ces derniers refusent de charger nos marchandises. Alors qu’une fois que le bateau arrive au port, nous avons un délai pour enlever vos marchandises sous peine de pénalités. Donc c’est clair que nous payons les frais à chaque fois qu’il y a une crise de ce genre.
« Nous informons les autorités que nous sommes prêts à disponibiliser dans la limite du possible des camions pour aider les autorités à pouvoir faire face à la situation »
Il y a aussi la question de la flambée des prix des produits de grande consommation. Vous qui êtes à la fois syndicat dans le domaine du transport et du commerce, quelle solution proposez-vous pour amortir les effets de cette inflation ?
Pour la flambée des prix, c’est vrai qu’il y a un effort qui est fait pour diminuer les frais de dédouanement de certains produits de premières nécessités pour pouvoir contenir la situation un tant soit peu. Mais nous aurions souhaité proposer que les autorités revoient les questions relatives au tonnage à la pesée. Cela peut aussi être très bénéfique.
Et pour le carburant comment faites-vous pour combler le gap ?
Actuellement la solution trouvée, surtout pour les camions qui vont au Ghana où les prix des hydrocarbures ont augmenté de manière exponentielle, c’est de minimiser les pertes en termes de carburant avec les chauffeurs. Avec la situation que le pays vit déjà, si nous devons suivre la hausse du prix des hydrocarbures pour augmenter les prix des produits ou du transport, nous risquons d’aller vers une situation de vie chère alors que c’est ce que notre syndicat veut éviter. Malgré cette augmentation des prix des hydrocarbures, nous n’avons pas augmenter le prix de transport des marchandises. Nous sommes toujours dans la grille proposée par notre ministère de tutelle. Et nous ferons tout surtout dans notre secteur d’activité pour éviter que cette vie chère ne s’y installe.
Le torchon brulait entre temps entre les transporteurs burkinabè et les autorités togolaises ou vous aviez même menacé d’arrêter de fréquenter le port togolais. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Avec les togolais on peut dire que les choses se passent plutôt bien depuis lors. La seule difficulté maintenant, c’est ici au Burkina Faso. Parce qu’actuellement, les tonnages qui nous sont autorisés au Ghana et au Togo, ce n’est pas ce qui est autorisé au Burkina Faso. C’est ce qu’on n’arrive pas à cerner en réalité. Voilà pourquoi nous demandons aux autorités de porter un regard sur cette situation parce qu’on a l’impression qu’il y a un modèle d’injustice qui ne dit pas son nom. Par exemple dans les pays portuaires, on nous autorise la pesée à l’essieu et dès que le camion arrive au Burkina la pesée se fait par tandem. Avec ce changement de système de pesée, c’est normal qu’il y ait des problèmes avec l’ONASER ou la firme Afrique Pesage. Nous appelons donc le gouvernement à régulariser le système avec le Ghana et le Togo. Nous sommes sûr que si cela arrive, il y aura des répercussions sur les prix des denrées.
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En juin 2021, votre syndicat a affiché son refus pour l’implantation de la firme Afrique Pesage au Burkina Faso. Près d’un an après est-ce qu’on peut dire que c’est la bonne entente ?
Les difficultés que nous avons annoncées depuis l’arrivée de Afrique pesage demeurent toujours. Ce qui est marrant dans cette histoire, c’est que quand nous chargeons dans les pays portuaires, nos camions n’ont pas de souci avec les autorités de ces pays. Nous arrivons donc à circuler tranquillement du port jusqu’à la frontière. Et une fois que nous arrivons au niveau des stations de pesage à la frontière burkinabè (Afrique pesage), il nous arrive de débourser entre 500 000 et 600 000 F CFA de frais pour infraction de surpoids. Ne vous détrompez pas, ces 600 000 F CFA, le commerçant va l’amputer sur le prix du produit à l’écoulement. Ça au moins c’est sûr. Alors que ce n’est pas évident que tout ce que Afrique pesage gagne reste au Burkina Faso. Quand vous faites une évaluation à tous les niveaux, c’est le Burkina Faso et le Burkinabè qui perdent. Voilà pourquoi notre syndicat ne cesse de demander aux autorités d’être regardant sur la question afin d’amoindrir un tant soit peu la souffrance des populations qui peinent déjà avec les différentes crises.
« Pour pallier la flambée des prix des produits de grande consommation, il serait souhaitable que les autorités revoient les questions relatives au tonnage à la pesée »
Tout récemment les ténors de l’économie burkinabè se sont rencontrés pour éventuellement parler de l’avenir du pays. Votre appréciation ?
Je vous dirai que le mal ou l’un des maux de ce pays est que les gens refusent de s’entraider pour faire avancer le pays. C’est dans ce pays que ceux qui ont le pouvoir d’accompagner, refusent de le faire. Quand vous observez l’arène des affaires au Burkina Faso, quel changement constatez-vous depuis plus d’une décennie ? Il n’y en a pas. Les grands (ténors) sont en train de bloquer les choses pour que les jeunes n’aient pas de promotion. Ces grands veulent toujours être grands. Les mêmes têtes qui étaient là, ce sont eux qui sont toujours là. Ils refusent de faire la place à la nouvelle génération. Et ce n’est pas un comportement qui peut développer un pays. Il faut qu’à un certain moment, il y ait un transfert générationnel. Que les grands aient le courage ou l’humilité de laisser émerger aussi d’autres acteurs.
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Un mot sur la déclaration du Premier ministre
En tant que syndicat, nous sommes partant pour tout projet qui va faire avancer le pays. Nous sommes dans le domaine du transport et du commerce. Si nous avons des routes bien aménagées pour convoyer nos produits, c’est bien. Mais la question que l’on se pose, c’est, est-ce que nous n’avons pas plus urgent que de construire des routes ? Certes que nous voulons de bonnes routes, mais pour pouvoir rouler sur ces routes, il faudrait que nous soyons dans un environnement de paix. Donc nous estimons que la lutte contre le terrorisme constitue aujourd’hui la première des urgences. Si nous pouvons avoir la paix et dans la même foulée, construire des voies, ce serait bien, mais nous estimons que la question du retour de la paix prévaut. Si le pays est en paix, toutes les activités peuvent se mener.
La Transition est censée durée 21 mois, alors quel conseil avez-vous à donner aux nouvelles autorités pour clore cet entretien ?
Nous ne pourrons pas donner mieux que les conseillers qu’ils ont autour d’eux. Mais il faudrait que les nouvelles autorités sachent qu’ils ne réussiront cette mission que s’ils parlent le langage de la vérité, seul gage pour réussir. Déjà que la situation est quasi pourrie, sans la vérité, ça sera très compliqué.
Interview réalisée par Le Quotidien