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21 novembre 2024

Cinéma : Cannes rend un vibrant hommage au réalisateur Kibidoue Eric Bayala

Au cœur de la soirée Hommage au cinéma autrichien à Cannes qui s’est déroulé à l’Espace Miramar le samedi 11 février 2023, le réalisateur Kibidoue Eric Bayala (KEB) a accepté d’accorder une interview post événement à NSD Radio

NSD Radio Mag : Quel effet cela vous fait-il d’être projeté à Cannes pour la deuxième fois consécutive ?
Kibidoue Eric Bayala (KEB) : Merci! C’est un grand honneur pour tout cinéaste, pour tout réalisateur d’être projeté à Cannes. Pour moi, c’est un quadruple plaisir, car mes deux films ont été projetés chacun deux fois. Et encore, ces deux films ont remporté trois prix à la 18e édition du Festival International du Film Panafricain (FIFP) à Cannes en 2021!
Sans vouloir tomber dans l’autosatisfaction, je dirai que c’est le rêve d’un enfant de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso qui se réalise. Tout petit, je fabriquais moi-même mes récits avec des personnages, des histoires simples inventées, des images construites sur des bouts de sachets plastiques blancs et transparents qui servaient de bande et de support aux desseins. Je les projetais sur les murs ou bien des fois sur les pagnes blancs de ma mère pour mes amis.
Moi, je n’imaginais pas que mon amour de conter le vécu, ou des récits inventés, bref ma passion du jeu de l’ombre et de la lumière allaient m’amener à Cannes, les terres du bon cinéma, le cinéma mondial. C’est une récompense du Grand Créateur et des Mânes de nos Ancêtres! Je leur rends grâce et je les remercie, car c’est immense ce qui m’est arrivé de si beau!

NSD Radio Mag : Comment avez-vous vécu cette soirée Hommage ?
KEB : La soirée d’hommage fut très bien organisée et je ne m’y attendais pas du tout. Je ne m’attentais pas à ce que l’association Nord-Sud-Développement et le FIFP rendent hommage à ma modeste personne. Donc, je l’ai vécu comme un encouragement et une émulation pour tout ce que je fais dans le domaine de la migration, du cinéma et de la musique. Je crois que les plus belles choses viennent à nous souvent sans bruit, car l’invitation est survenue au moment de ma vie où je ne m’y attendais pas du tout!
Cet hommage est un geste de solidarité et de bienveillance de la part du FIFP avec les différents membres de l’équipe de mes films, les protagonistes, les membres de mon association Sahel Tirol et mes partenaires. Ce fut un hommage au cinéma autrichien et burkinabè à travers ma modeste personne.
Je ne suis pas un bon conteur mais, j’ai vite su et compris que le cinéma permettait d’inventer un espace utopique pour créer et faire vivre des choses, des idées et des personnages. Le cinéma qui est pour moi un art vivant en mouvement perpétuel est le lieu adapté pour la transmission des rêves, des imaginaires. Le cinéma peut faire survenir la réalité et advenir l’imagination et les talents des artistes. Moi, j’ai choisi de parler dans la plupart de mes films des migrants, de la rencontre des cultures et du dialogue constructif entre les différentes cultures que le voyage met dans un espace.
La soirée du 11 février 2023 m’a donné une immense joie, réelle et sincère. Vous savez, il y a des joies que l’on peut fabriquer industriellement et le cinéma et l’audiovisuel le permettent. Mais, cette joie avait un vrai goût du bonheur, car elle m’a surpris; elle ne fut pas préparée! De plus, cette cérémonie a été agrémentée par le passage d’un court-métrage qui met les jeunes, leurs problèmes et le thème du genre dans la société. Ces thématiques sont aussi au cœur de mes films. Aussi, la soirée a fini sur des pas de reggae avec Mama Kaffee. On a chanté et dansé du Bob Marley aussi. Cela m’a rappelé les années où je portais encore des «dreadlocks»!
Je remercie sincèrement l’association Nord-Sud-Développement, le FIFP et tous les volontaires qui travaillent pour que le FIFP se réalise chaque année.

NSD Radio Mag : Quel a été l’accueil du public ?
KEB : Le public a très bien accueilli mes deux documentaires longs-métrages «Les Tourneurs du Temps» et «Les Résonances de l’Âme». La preuve, ce sont aussi bien le nombre des cinéphiles, la durée des échanges et la variété des sujets et questions abordées par la centaine de cinéphiles. Les échanges m’ont permis de comprendre que le public présent le 11 février est un public averti et que mes œuvres ont suscité des émotions, des questionnements et l’envie de comprendre le regard d’un artiste et chercheur burkinabè sur la migration en Autriche et la vie des migrants. Les échanges ont porté sur les thèmes de l’accueil, de l’hospitalité et surtout sur les rapports d’altérité qui permettent de créer une identité et une culture de dialogue, de rapport sain et fertile avec autrui, le migrant. Aussi, les thèmes de la culture ont été discutés avec le public très enthousiaste, car la culture ne permet pas toujours de comprendre et de résumer une personne. Cependant, la culture permet de construire des récits et de trouver des points de convergence d’une part entre l’hôte et l’autre et, d’autre part, entre l’hôte et l’hôte. En français, l’hôte est aussi bien celui qui reçoit et celui qui est reçu. Ce mot porte dans sa construction, un dynamisme qui permet les échanges, le partage et l’ouverture vers l’Autre, donc vers soi-même en tant qu’individu et aussi être culture! Les récits des autres permettent de trouver des références communes, et des rapports aux choses et aux êtres qui nous entourent. L’Art est le lieu de la narration et de l’expression des récits, des codes et expressions culturelles que porte l’hôte! Vous savez quand on est bien avec soi, avec sa culture, on est aussi bien avec la culture de l’autre! Toutes les cultures posent les mêmes questions, les mêmes problèmes, mais les gens selon leurs expériences, leurs religions, leurs orientations politiques donnent des solutions différentes aux questions posées. Les questions relatives à la paix, à la tolérance, l’appartenance à un pays et à une culture ont aussi été posées. Les identités culturelles fixes sont souvent infertiles, car enfermées dans des carcans qui ne permettent pas des échangent. Dans mes films, je défends les fécondités culturelles qui ouvrent les fenêtres aux autres pour des échanges, un enrichissement, car les fondamentaux et les cadres référentiels de ce monde ne sont pas statiques. Ils changent et s’adaptent aux nouveaux arrivants, à la technologie et aux bouleversements en cours dans le monde! Moi, j’ai insisté dans les deux films sur le rôle de l’artiste dans la construction du rêve, des espaces utopiques réels et imaginaires qui permettent de vivre ensemble dans la tolérance et le respect de nos différences. C’est à l’artiste de porter ses racines sur la tête et dans sa tête comme les «dreadlocks» des rastas, d’explorer et d’exploiter les écarts dans les cultures. Cette rébellion permet de critiquer objectivement les conceptions figées afin de décrire le réel, de proposer des idées et de créer des rêves. Pour moi, l’artiste a l’obligation d’aller au-delà des frontières et des barrières érigées par les cultures et les fanatismes. Ce faisant, il peut oser inventer le vivre ensemble dans la justice et dans la paix. L’artiste ne doit pas se figer dans une seule culture, dans une aire culturelle pour chercher le commun ou créer son œuvre. Il doit investiguer les marges et les différences pour créer. Je fais le cinéma, car je crois qu’un film permet de conjuguer et de créer un monde qui se voit avec les images, s’entend avec les sons, s’imagine grâce aux idées, se vit grâce à la mise en scène et s’expérimente à travers ce que le cinéphile aura retenu du film regardé.

NSD Radio Mag  : Ces échanges avec le public cannois vous ont-ils enrichis ? Si oui en quoi ?
KEB : Les échanges furent très intéressants. La preuve est qu’avec le premier film, «Les Tourneurs du Temps» nous avons dépassé le temps qui nous avait été donné. Le public cannois m’a enrichi de ses questions, ses commentaires, ses critiques et ses discussions. L’artiste que je suis et qui crée est souvent dans le fantasme et dans l’élan de la création. Aussi, le chercheur que je suis essaie, d’une part, de comprendre et de donner des codes et clés de lecture et d’explication aux logiques construites et transmises de génération en génération et, d’autre part, d’analyser la situation du migrant. Les discussions m’ont aussi permis d’échanger sur les stimulations qui m’ont inspiré ou bien qui ont prévalu à la naissance de telle ou telle scène des films projetés. Pour moi, échanger avec un public après la projection de mon film est toujours un moment de partage et de joie. À Cannes, ces échanges m’ont permis d’interroger mes pensées, de remettre en cause certaines évidences comme le respect, la tolérance envers les personnes non tolérant par exemple. J’ai senti que le public averti de Cannes est dans un mode de vivre une certaine diversité culturelle, dans un mode de fécondité. Ce n’est pas tous les jours que pendant des échanges on sent une vraie complicité avec un public qui partage jusqu’à un certain niveau des convictions politiques, sociales et culturelles. En tout cas, c’est ce que j’ai senti dans la subjectivé des intervenants.

NSD Radio Mag : Comptez-vous valoriser votre passage dans la capitale du Cinéma Mondial?
KEB : Pour moi, mon passage à Cannes est une invitation à continuer à créer. C’est un encouragement à raconter des histoires par le biais de l’image, à construire des rêves qui donnent des clés qui permettent de chercher à harmoniser les rencontres et les rapports à l’Autre à l’hôte. Je crois profondément que le respect, la tolérance et l’identité se construisent dans des rapports d’altérité fertile. L’altérité permet de mieux appréhender l’Autre, l’hôte dans son Être. Et, c’est l’imaginaire positif qui permet de mieux comprendre l’information sociale et d’agir en tant qu’individu. Moi, j’ai seulement envie de faire du cinéma. Je n’ai pas envie d’être une personne qui brille. On dit que quand on a une image qui scintille et si on lui ajoute une lumière, cet ajout peut inhiber l’image et la rendre moins visible. On peut éteindre une image par une lumière. Dans mes films, je mets en exergue les migrants, différents protagonistes et des sujets qui dérangent, mais qui n’insultent pas, n’accusent pas, mais invitent à la réflexion, aux changements. Cannes me permet de multiplier mes rêves et d’inclure les rêves des autres dans les miens pour qu’il y ait une existence multiple et une entente diversifiée avec l’Autre. Dans l’histoire humaine, les rencontres suscitent des stéréotypes, des stigmatisations et des rejets. Autrui a souvent plusieurs facettes, car on lui fait porter des masques, souvent ce que la société dessine sur son visage. Il faut souvent enlever les masques à plusieurs faces pour découvrir le visage réel l’Autre qui le plus souvent nous ressemble!

By Ib_Z

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